Nouvelle menace sur les agrumes de Méditerranée

  • Publié le 29/06/2011 - Elaboré par AUBERT B.
  • FruiTrop n°168 , Page 4 à 9
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Le huanglongbing (HLB) en 16 questions

Le huanglongbing (HLB - maladie des pousses jaunes) est une des neuf affections des agrumes connues pour être transmissibles à la fois par greffe et par insectes. Au cours des dix dernières années, cette maladie a pris soudain un caractère de pandémie, au point de menacer les grands bassins de production.

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Quelle est son origine ?

Il existe d’anciennes descriptions en Assam et au Punjab qui font penser au HLB. Toutefois, les premiers véritables foyers en vergers de production ont été signalés vers les années 1940 en Chine dans la province de Canton — d’où le nom chinois donné à cette maladie —, puis séparément en Inde dans le Maharashtra au milieu des années 1960 ainsi qu’en Afrique du Sud dans le Transvaal. La maladie préexistait sans doute dans ces régions, mais jusque-là sa transmissibilité par greffe et par insectes piqueurs suceurs n’avait pas encore été démontrée.

Outre sa propagation par greffons ou marcottes, la maladie est disséminée par deux psylles : l’un d’origine asiatique (Diaphorina citri), l’autre d’origine africaine (Trioza erytreae). La transmission par la graine semble difficile, alors que la transmission au champ par contact et soudure de racines est à redouter.

Psylle

S’agit-il de la même maladie en Asie et en Afrique ?

Oui

1) Car les symptômes sont identiques dans les deux cas : marbrures de feuilles, avec asymétrie de part et d’autre de la nervure centrale, fruits également asymétriques, peu colorés, à faible teneur en jus ou en sucres et graines avortées. Leur coloration imparfaite débute autour du pédoncule, alors que sur rameaux sains elle commence à l’opposé vers la partie stylaire.

2) Parce que dans les deux cas, la couronne des arbres atteints affiche des jaunissements et dessèchements de brindilles, avant d’évoluer lentement vers la mort de l’arbre. Pour les sujets plantés sains, mais inoculés en verger par psylles, le dessèchement progresse en général du haut vers le bas par secteurs de couronne et, dès leur cinquième année de plantation, les parcelles infectées perdent toute rentabilité.

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Non

1) Car la forme africaine de HLB est sensible aux températures élevées et en Afrique subsaharienne les symptômes disparaissent lorsque le total de degrés-heures supérieures à 30°C atteint ou dépasse 800. De plus, le psylle africain ne peut se développer qu’en climat frais et humide. Les oeufs et larves de premier stade ne supportent pas l’air chaud et sec (déficit de saturation de l’air de 30 millibars ou plus). Le HLB africain sévit donc sur les vergers situés aux altitudes supérieures à 600-700 mètres, lesquelles sont pourtant réputées donner des fruits de qualité. En effet oranges et mandarines sont mieux colorées et davantage savoureuses en vergers de hauts plateaux.

2) A l’inverse, le psylle asiatique et la forme asiatique de HLB résistent aux conditions thermiques extrêmes, allant des températures hivernales négatives aux conditions très chaudes et très arides des étés les plus chauds du monde.

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Pourquoi plusieurs formes de HLB ?

Les entomologistes estiment que l’apparition des psyllidés date de la période Gondwana, il y a quelque 150 millions d’années, et que ces insectes ont adapté leurs cycles larvaires sur des niches de plus en plus étroites de plantes hôtes préférentielles. L’âge des bactéries HLB, qui a pu être évalué quant à lui par bio-chronologie moléculaire, remonterait également à la période Gondwana. Le contact de T. erytreae et D. citri avec les agrumes cultivés est beaucoup plus récent puisque ces derniers ne sont apparus qu’il y a 3 à 4 millions d’années environ en Australasie, avant d’être disséminés par l’homme. A titre d’exemple, une « aire relique » comme les îles Comores héberge un Diaphorina très particulier inféodé aujourd’hui aux agrumes « nouvellement » introduits dans ce territoire.

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Existe-t-il des territoires où les deux formes de HLB et les deux psylles cohabitent ?

Oui

C’est le cas de l’archipel des Mascareignes (Réunion, Maurice, Rodrigues) et du sud-ouest de la Péninsule arabique où les deux psylles des agrumes sont présents. Ils y occupent des niches écologiques qui peuvent occasionnellement se recouper. Le psylle africain est d’ailleurs capable de transmettre la forme asiatique de HLB et de son côté le psylle asiatique la forme africaine. Les deux types de bactérie peuvent coloniser un même arbre.

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Peut-on prévoir le profil de répartition des deux psylles dans des territoires indemnes ?

Oui

Grâce au dépouillement des données de température et d’hygrométrie, il est possible de dresser une carte de risque épidémiologique en cas d’invasion de psylles. A titre d’exemple, Trioza erytreae serait capable de coloniser les zones côtières du Bassin méditerranéen, avec des phases de ponte et de développement larvaire au printemps, les adultes pouvant supporter le passage des autres saisons. Les larves de ce psylle se fixent dans des galles à la face inférieure des feuilles. La dispersion de cette espèce se fait à la faveur de transports de plants. Les adultes doués d’une assez bonne capacité de vol assurent ensuite la dispersion de l’espèce.

Pour Diaphorina citri, les larves sont mobiles et leur survie sur jeunes tiges ou pédoncules de fruits est possible, ce qui donne à cette espèce un pouvoir de dispersion à la faveur de transports de matériel végétal coupé, tel que feuilles ou fruits.

Des pièges englués de couleur jaune, placés en des endroits correctement choisis et observés régulièrement, peuvent être utilisés comme réseau d’avertissement, les deux psylles étant attirés par la couleur Saturn Yellow.

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Peut-on confondre le HLB avec d’autres anomalies ?

Oui

Les premières manifestations foliaires peuvent être confondues avec des symptômes de carence en zinc ou en manganèse. Toutefois, une vraie carence physiologique concernera l’ensemble d’un verger dont les sujets présenteront eux-mêmes une décoloration plutôt généralisée. A l’opposé, les manifestations du HLB apparaissent de façon beaucoup plus aléatoire et sectorielle, tant à l’échelon de l’arbre individuel qu’à celui de la parcelle. Une autre confusion possible peut venir des attaques de Phytophthora liées à l’asphyxie des sols. Mais dans ce cas, les symptômes foliaires débutent par des jaunissements le long des nervures.

Il est donc important d’étayer l’observation au champ par un diagnostic de laboratoire. Une fois ce travail de confirmation effectué, le dépistage visuel est confié à des agents spécialement formés qui inspectent la couronne des arbres. Des plateformes tractées dominant le couvert végétal, qui permettent d’inspecter jusqu’à 5 000 arbres par jour, sont utilisées. Les techniques de télédétection sont envisageables mais non encore opérationnelles.

De quel type d’agent infectieux s’agit-il ?

Les deux formes de HLB sont associées à des bactéries Gram- qui prolifèrent dans les cellules du système vasculaire transportant la sève élaborée (phloème primaire et liber). Cette sève nourricière circule dans des cellules allongées sans noyau en forme de tubes et munies de cribles, pour alimenter les parties biologiquement actives de l’arbre : bourgeons, fruits et racines.

Parce que trouvées dans les tissus du liber, ces bactéries ont reçu le nom de Liberibacter. Mais à ce jour, elles n’ont pu être obtenues en culture pure, bien qu’il ait été possible d’identifier leur ADN ribosomal 16S. En conséquence, elles sont classées dans le groupe des alpha-protéobactéries, avec le nom provisoire de Candidatus Liberibacter asiaticus et Candidatus Liberibacter africanus.

A la fin des années 1960, une équipe française INRA-IFAC a joué un rôle important dans la détection du HLB. Elle a identifié pour la première fois la présence de bactéries dans les tubes criblés de feuilles d’orangers provenant d’Inde, de l’île de la Réunion et d’Afrique du Sud.

Aujourd’hui, des techniques de détection par sondes ADN et par amorces PCR sont disponibles. Elles permettent d’évaluer la charge de ces organismes infectieux dans les tissus des plants d’agrumes contaminés et même dans les psylles vecteurs. La remarque vaut aussi bien pour la souche africaine que pour la souche asiatique de HLB. Une nouvelle forme de HLB a été récemment découverte au Brésil : Candidatus liberibacter americanus.

Tous les agrumes sont-ils sensibles au HLB ?

Oui

Mais à des degrés divers. Les oranges, mandarines (ainsi que tangelos, tangors ou petits agrumes) et les pomelos figurent parmi les plus sensibles. Les citrons, limes, combavas, cédrats et calamondins présentent des symptômes moins drastiques, bien qu’affichant des charges bactériennes aussi élevées que dans le premier groupe. Dans l’état actuel des connaissances, aucun porte-greffe ne peut conférer de résistance au HLB. En zones villageoises, les agrumes acides (citrons rugueux, limes, calamondins, etc.), le plus souvent issus de semis ou de marcottes, sont très répandus aux abords des habitations et le long des chemins. Ils constituent de multiples foyers d’agents infectieux et de vecteurs. Il en va de même pour certaines Rutacées ornementales comme l’espèce Murraya paniculata, plante hôte préférentielle de D. citri et très couramment utilisée comme espèce paysagère.

Pourquoi la soudaine expansion du HLB sur le continent américain ?

Un territoire donné peut héberger des populations de psylles des agrumes sans que la bactérie du HLB y soit nécessairement présente. Mais ce territoire devient alors extrêmement vulnérable car il suffit d’importer quelques greffons ou plants contaminés pour que la maladie se répande rapidement. Ce scénario vient de se produire au Brésil où D. citri avait été introduit par accident vers le milieu du XXème siècle, mais sans l’organisme associé au HLB. Quelque cinquante années plus tard, une introduction probable de greffons contaminés ainsi que d’autres circonstances non encore élucidées ont entraîné une soudaine explosion de la maladie dans l’état de Sao Paolo.

En Floride, tout laisse penser que le HLB est arrivé au milieu des années 1990, avec des plants d’ornement contaminés et porteurs de larves de D. citri. La maladie s’est répandue sournoisement dans les pépinières ornementales péri-urbaines, avant d’occasionner les premiers ravages en vergers de production.

Les épidémiologistes s’accordent à dire que, parmi les maladies des agrumes, le HLB présente le potentiel de dispersion le plus élevé et le plus difficile à maîtriser, que ce soit en vergers villageois ou en grandes plantations intensives.

Comment fonctionne la relation « agent infectieux, psylle vecteur et plante-hôte » ?

Pour les psylles vecteurs, la bactérie associée au HLB fait partie de la flore de « symbiontes » proliférant dans le tube digestif et transitant par l’hémolymphe et les glandes salivaires.

Les pièces buccales, basculées sous la partie postérieure de la tête, ont développé une capacité à piquer et sucer. Elles comportent un stylet formé  de trois soies gainées, qui percent les tissus foliaires par saccades. Des organes sensoriels permettent à l’insecte de sélectionner la couche de liber dans le faisceau criblo-vasculaire.

La transmission du HLB par vecteur passe en premier lieu par un repas d’acquisition sur une plante contaminée. Puis il y a multiplication et transit de la bactérie associée au HLB dans les tissus de l’insecte jusqu’aux glandes salivaires et inoculation lors des repas suivants. Des études sont en cours pour mieux comprendre ces mécanismes, notamment la translocation-multiplication de l’agent infectieux dans le vecteur.

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Quel est le profil d’extension du HLB en verger d’agrumes ?

L’expansion de la maladie à partir d’un foyer initial est fonction de la densité de population de vecteurs et du degré de prévalence de la bactérie du HLB, donc de la fréquence des contacts « agent- pathogène/vecteur ». Pour le paramètre « agent-pathogène », et compte tenu de ce qui a été exposé précédemment, la surveillance rigoureuse de la propagation de plants sains en pépinière est un facteur primordial. Ce qui conduit à mettre en place des schémas de certification où production de greffons sains et élevage des jeunes plants greffés interviennent sous serre étanche aux insectes.

Au verger, la rapidité d’extension de la maladie va dépendre des conditions environnementales et des pratiques culturales. Par exemple en Asie, où D. citri est omniprésent et où des millions de familles cultivent de petites parcelles d’agrumes, l’éradication du HLB est socialement très difficile. La durée de vie des vergers d’orangers et de mandariniers n’excède guère cinq années. Les agrumiculteurs compensent cette courte durée productive par des systèmes de plantation à ultra-haute densité, ce qui mobilise une main d’oeuvre abondante.

Au Brésil, où le HLB a été observé pour la première fois en mars 2004, la maladie a gagné rapidement quelque 200 municipalités du bassin de production de l’état de Sao Paolo. Les surfaces plantées en agrumes y sont immenses, avec des vergers regroupant de 100 000 à 3 millions d’arbres. L’éradication des premiers foyers a entraîné la destruction de quelque 3 millions de sujets sur un effectif totalisant 150 millions d’arbres, à la suite d’inspections mensuelles conduites depuis des plateformes mobiles. Sous couverture insecticide continue, il est apparu qu’en raison du temps d’incubation le pourcentage des arbres réellement atteints à un instant t est en réalité le double de celui des arbres affichant les tout premiers symptômes.

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La lutte biologique contre les vecteurs est-elle envisageable ?

Cette stratégie ne présente de réelles chances de réussite qu’à condition d’avoir affaire à des populations de psylles dépourvues au départ d’ennemis naturels et d’introduire des ectoparasites primaires, sans leur cortège de parasites secondaires et tertiaires. Ce scénario a fait ses preuves à l’île de la Réunion dans les années 1970, grâce à l’effort d’une équipe mixte IRFA-INRA-IRAT et SRA. Le résultat obtenu a été l’éradication de T. erytreae, une très forte diminution des populations de D. citri. Des aides auprès des planteurs pour leur faciliter l’accès aux plants certifiés indemnes de HLB  ont entraîné la disparition progressive de la maladie sans nécessiter une massive et perturbante campagne d’éradication des agrumes contaminés. Le scénario d’une lutte biologique efficace contre D. citri vient de se renouveler avec succès à la Guadeloupe, dans le cadre d’une action menée conjointement par l’INRA et le CIRAD.

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Quel est le coût des campagnes d’éradication ?

En Floride, des études économiques montrent que la chute de production due au HLB est très rapide en l’absence de stratégie d’intervention. Elle peut toutefois être enrayée par l’éradication et la replantation des foyers atteints. L’augmentation des frais de culture entraînée par les nouvelles mesures prophylactiques est au minimum de 35 à 50 %. Ce surcoût résulte des achats de plants sains, des frais de dépistage (cinq à six fois l’an) et de replantation, de l’augmentation des traitements insecticides (jusqu’à 12 et plus par an), ainsi que des reports de productivité sur les foyers éradiqués et replantés. Toutes les pépinières doivent désormais opérer sous serre étanche aux insectes, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. De plus, l’arrachage des sujets contaminés au verger doit être soigné pour éviter la contamination par les repousses de stolons porteurs de HLB. Juste après la coupe, il est important de badigeonner le tronc d’herbicide et de le recouvrir d’un film plastique.

Bien des planteurs sont démotivés par ces contraintes, notamment en périphérie urbaine du fait de la spéculation foncière. Même dans la zone isolée des Everglades, le HLB et D. citri commencent à sévir dangereusement.

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La surveillance dans les îles océaniques ?

En raison des échanges commerciaux et touristiques, les îles océaniques constituent des relais d’expansion du HLB. Beaucoup d’entre elles ont été ou sont encore utilisées comme conservatoires génétiques d’agrumes et surtout de Rutacées ornementales. En dépit des règles de quarantaine, elles sont exposées aux intrusions de vecteurs. Outre le cas célèbre des Mascareignes qui hébergeaient les deux psylles, il convient de mentionner Madère et les Canaries où T. erytreae a fait son apparition il y a une dizaine d’années. Hawaii a récemment exporté vers la Californie des bouquets frais de Murraya (curry plants) porteurs de larves de D. citri. Au sud du Japon, D. citri a fait son apparition à Okinawa et se trouve actuellement sur les îles faisant face à Kyushu. Enfin, les îles de Timor et Flores proches de la ville de Darwin en Australie hébergent le HLB et D. citri.

Des vols quotidiens relient ces territoires avec tous les risques que cela comporte lors des échanges transfrontaliers. Des tentatives d’éradication devraient y être entreprises, analogues à celles conduites à la Réunion et en Guadeloupe.

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Quelles sont les régions restées indemnes de HLB ?

Le Bassin méditerranéen, le Japon et l’Australie restent pour le moment indemnes de HLB.

Le pourtour de la Méditerranée, qui totalise une production de 18 millions de tonnes d’agrumes, constitue clairement la zone la plus vulnérable compte tenu de la fréquence des échanges touristiques, de l’importance prise par les mouvements de plantes ornementales et de l’imbrication entre vergers de production et agrumes d’ornement. L’agrumiculture y est pratiquée en petits vergers familiaux, souvent à la périphérie des zones urbaines et touristiques en raison de la compétition pour l’eau. La menace vient à la fois de l’Est avec la présence de D. citri et du HLB asiatique au Moyen-Orient, et de l’Ouest avec l’arrivée de T. erytreae à Madère et aux Canaries.

Des stratégies préventives concertées, animées par des équipes pluri-disciplinaires régionales, sont indispensables pour assurer une veille efficace. Il ne semble pas aujourd’hui que les dispositions soient prises à la hauteur de la menace.

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Où en est la recherche européenne sur le HLB ?

La recherche conduite par les équipes françaises constitue encore une référence, mais doit désormais se structurer dans un cadre euro-méditerranéen. Le CIRAD a timidement repris pied avec un programme de recherche porté par le FCPRAC (Florida Citrus Production Research Advisory Council - cf. encadré).

Les enjeux économiques et sociétaux sont grands puisqu’ils concernent pour la seule zone méditerranéenne une production de quelque 18 millions de tonnes d’agrumes, des échanges de près de 6 millions de tonnes, pour une valeur marchande vraisemblablement comprise entre 5 et 10 milliards d’euros.

Bernard Aubert, consultant Adac-Cirad

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