Fret maritime

  • Publié le 31/10/2017 - Elaboré par BRIGHT Richard
  • FruiTrop n°251 , Page 106 à 110
  • Gratuit

1er semestre 2017

Dans le prochain épisode des péripéties du secteur reefer, Grandeur et décadence, comment évoquer le premier semestre de 2017 dans un style purement narratif ? En dépit d’un marché incontestablement difficile et d’un TCE moyen sur les trajets spots similaire à celui de 2016, la flotte reefer a presque travaillé à plein temps. Alors, comment expliquer ce pessimisme qui dominait en ce début de juillet, où l’on parlait de démolition à grande échelle ?

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Reprocher aux seuls transporteurs la disparition des reefers spécialisés serait un raccourci facile. Parmi les variables qui affectent les performances du mode, la tarification agressive des lignes est peut-être la plus visible, mais elle n’est pas seule. L’augmentation massive de capacités concurrentielles reefer, sous la forme de slots et d’équipements, a coïncidé avec un recul de la demande autrefois caractéristique du commerce traditionnel des reefers. À titre d’exemple, le commerce de la volaille des États-Unis vers la Russie, cœur d’activité du mode, atteignait jusqu’à 1 million de tonnes par an. Ce chiffre est tombé à zéro avant même l’application des sanctions.

Autre cas avec le commerce de la banane. L’instabilité géopolitique régnant sur les marchés de la Mer Noire, d’Afrique du Nord et de l’est de la Méditerranée depuis les soulèvements du « printemps arabe » a créé un environnement favorable aux transporteurs qui ont su s’infiltrer dans le négoce spot, aux dépens des reefers traditionnels. Peu importe si le trajet depuis l’Équateur est plus long et comporte des transbordements, peu importe si la qualité des fruits n’est pas toujours équivalente à celle livrée par les reefers. C’est la taille de la cargaison qui importe désormais : plus le marché est fragmenté, plus le volume à livrer est limité, et plus l’expédition aura des chances de se faire en conteneur reefer.

Bien que le marché algérien ait rouvert son port aux reefers au mois de mars, après une interruption de six mois, ils n’ont toujours pas d’escale directe à destination de Novorossiisk, de l’Ukraine ou de la Syrie, et la demande libyenne reste limitée, sporadique et non dénuée de risques. Les cours de la banane, plus volatils sous la poussée des volumes croissants de fruits acheminés au port de Mersin en Turquie, incitent les négociants de Méditerranée à se faire plus prudents par des affrètements complémentaires devenus rares.

Cette situation va-t-elle évoluer au second semestre ? Des excédents de fruits sont attendus en Amérique centrale et en Colombie cette année, générant donc, théoriquement, des opportunités de trajets spots. Cependant, après deux années désastreuses en 2015 et 2016, les affréteurs connaissent les risques. Risques qu’ils prendront aux seules conditions d’un changement ou d’une réduction d’équipements sur la place très concurrentielle des fruits d’Équateur et des Philippines, ou dans l’optique d’une amélioration significative des conditions de marché. Au vu des données actuelles, aucune de ces options n’est envisageable !

Des exceptions au déclin subsistent : les expéditeurs de fruits à pépins de l’hémisphère Sud, au Chili, continuent de jouer un rôle majeur. Entre la semaine 48 de 2016 et la semaine 14 de 2017, le Chili a expédié 610 000 palettes de fruits vers les États-Unis, contre 568 000 l’année précédente, mais sur une base cependant comparable aux 617 000 palettes de 2014-2015. Bien que la part du volume total détenue par le mode spécialisé ait diminué, largement en raison d’une tarification agressive de la part des transporteurs, en volume absolu le nombre de palettes est passé de 427 000 à 442 000, ce qui représente une part de 72 % du total. Impressionnant au premier abord, ce chiffre correspond à 80 000 palettes (20 trajets) de moins qu’en 2014-2015. Del Monte est en grande partie responsable de cet écart, la multinationale ayant confié ses 30 000 palettes saisonnières au service de ligne concurrentiel MSC lors de la dernière campagne.

Ailleurs en Amérique du Sud, le bilan n’est pas aussi positif. 185 000 tonnes de pommes et de poires d’Argentine expédiées vers les marchés de haute mer sur les six premiers mois de 2017, contre plus de 600 000 tonnes en 2005 : le recul de la filière des fruits à pépins du pays est spectaculaire. Cette chute de 400 000 tonnes correspondrait pour la filière régionale à une perte de 350 millions USD par an. Cependant, il s’agit d’un facteur majeur qui contribue fortement à l’absence d’une haute saison type de février à mars pour les navires reefers. Le nombre de bateaux utilisés pour expédier des fruits vers la Russie et les États-Unis est tombé en dessous de dix, pendant que l’industrie des fruits à pépins fait face à sa baisse de volume et que les reefers perdent du terrain face à la concurrence des transporteurs à bas coût.

D’autre part, en dépit de meilleures prises de calamars dans l’Atlantique Sud d’une année sur l’autre, les grands reefers n’ont bénéficié d’aucun dividende saisonnier en 2017. Le petit segment a cependant tiré profit de cette légère augmentation : le tonnage Lavinia s’est retiré du commerce du poisson en Afrique de l’Ouest et a laissé la place à moins d’acteurs et donc, moins de navires en concurrence.

À 59 c/cbft, le TCE moyen pour le segment des petits navires n’est pas loin du résultat décevant du premier semestre de 2016. Pour autant, le sentiment cette année était bien plus marqué car les retours pour les armateurs auraient été supérieurs grâce à une meilleure exploitation des capacités ; plus de navires utilisés et moins de temps de planche généré. L’offre et la demande mises à part, ce sont les cours du carburant d’une année sur l’autre qui ont terni (et dévalorisé) les résultats.

En termes d’offre de capacité, sept navires au total ont été démantelés pendant la première moitié de l’année, soit une suppression de 2.7 millions de cbft. Le naufrage de l’Uruguay Reefer dans l’Atlantique Sud porte le total à huit navires et 3.2 millions de cbft, respectivement. Face à la date du contrôle technique qui se rapproche pour un certain nombre de navires et des conditions de marché qui ne devraient pas voir d’amélioration dans un avenir proche, il ne serait pas étonnant d’observer une poursuite des démolitions dans les prochains mois.

En ce qui concerne les conteneurs, seulement 41 000 nouvelles unités ont été construites au premier semestre de 2017, signe d’une deuxième année consécutive faible en termes de construction ; l’année dernière comptabilisait 75 000 unités livrées au total. Sur les 41 000 unités réalisées à ce jour, 28 000 étaient destinées à Maersk Line d’après certaines informations. L’autre acteur majeur ayant acquis des conteneurs reefers est Evergreen, qui en a commandé environ 2 000. Par ailleurs, certaines rumeurs concernant d’autres transporteurs importants cherchant à rattraper leur retard laisseraient prévoir un renouvellement en profondeur au second semestre. Après s’être arrogé une part majoritaire des commandes ces trois dernières années, le secteur des bailleurs ne représente finalement que 6 000 unités du total, le reste n’étant destiné qu’à toute une pléiade de lignes de plus petite taille ou d’utilisateurs nationaux.

La preuve est faite : l’offre en équipement se contracte. Pour autant, il serait probablement nécessaire de nuancer cette affirmation du fait que le secteur était peut-être « surconteneurisé » en reefers en 2015. Si on ajoute à cela une surcapacité slot significative, les tarifs ont subi une érosion et entraîné une baisse substantielle des marges, tant chez les transporteurs que chez les bailleurs. Les transporteurs ne sont pas les seuls à avoir souffert. Les bailleurs ont dû composer avec les retombées du dépôt de bilan de Hanjin, des coûts financiers plus élevés et des dépenses d’exploitation supplémentaires pour repositionner leur flotte de conteneurs « récupérés ». Il est peut-être alors compréhensible d’observer un ralentissement du côté des nouveaux investissements.

Ce manque d’investissement chez les transporteurs s’explique en partie par la pression qui pèse sur la rentabilité et la pénurie de fonds qui en résulte. Ils sont probablement aussi en passe d’évaluer l’optimisation de leur flotte après les récentes activités de M&A. À un taux sectoriel de 5.4 par déplacement rémunéré, par conteneur et par an, la gestion des reefers par les transporteurs est extraordinairement inefficace. Si cette moyenne pouvait se rapprocher du chiffre des reefers spécialisés, les lignes seraient clairement plus satisfaites. Elles seraient en mesure de traiter le même volume à un coût opérationnel plus faible (avec moins d’équipement), ce qui compenserait les effets de l’érosion des tarifs de transport... Une autre raison expliquant probablement la faiblesse des investissements.

Sur une note plus positive, un certain nombre d’équipements de « milieu de vie » encore en bonne condition, entreposés dans des sites ou dépôts de conteneurs à travers le monde, pourraient être disponibles en location à des prix attractifs. Pour en tirer parti, les transporteurs devraient alors adopter un nouveau paradigme : les transporteurs, comme les expéditeurs, devraient se libérer de leur obsession pour les nouveaux équipements !

Retour sur les temps forts non marchands

Le premier semestre de 2017 a été le théâtre de développements significatifs qui ont affecté ou affecteront l’offre et la demande en capacité reefer pour le reste de l’année et au-delà. Par exemple, le mois de février a été marqué par les premiers tours d’hélice de la série Colour Class de Seatrade sur le service Meridian de l’opérateur, reliant la Nouvelle-Zélande au nord de l’Europe, avec des escales au Pérou et sur la côte Est des États-Unis. Pour intégrer le navire dans son service, Seatrade a dû opérer quelques aménagements et compléments dans son organisation, dont un qui n’est pas des moindres, comme la cession de ses navires reefers spécialisés qui assuraient ce service jusque-là.

Cette ligne dépend fortement du commerce de kiwis entre la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne pour un tiers de l’année. Une fois réglés les problèmes de démarrage, les navires ont remporté un franc succès. À la mi-juillet, le négociant et directeur de l’affrètement des kiwis Zespri, Mike Knowles, a déclaré :

« Zespri a inauguré cette saison le nouveau service Meridian de Seatrade qui dessert l’Europe du Nord et la côte Est des États-Unis. À ce jour, les résultats sont satisfaisants et répondent à nos attentes en termes de respect du calendrier, temps de transit, contrôle de la température et conditionnement du fruit. Nous avons déjà chargé six navires et en prévoyons dix autres d’ici la fin de la campagne. Nos clients sont satisfaits de la qualité des fruits qui arrivent sur le marché. Le service est plus lent de quelques jours uniquement, comparé à nos options de transport traditionnel par reefers spécialisés, et s’avère rentable pour la filière. »

« Du point de vue de la Nouvelle-Zélande, la logistique de chargement en forte progression dans des conteneurs est bien gérée par Tauranga Kiwifruit Logistics (TKL) et nos fournisseurs, qui chargent chaque semaine entre 700 et 800 EVP aux escales du service Meridian, ce qui représente une augmentation globale d’un tiers par rapport à la dernière saison. Environ 300 EVP par expédition sont destinés au seul service Meridian. » Il ajoute : « Il y a bien eu quelques accrochages au début, comme nous nous y attendions, avec le passage du mode spécialisé vers le mode conteneur. Mais nous en avons tiré des enseignements que nous allons partager avec nos partenaires, pour encore améliorer le service à l’avenir. ». « Zespri accorde une grande valeur à son partenariat avec Seatrade, qui obtient de très bons résultats pour notre filière », conclut-il.

Étant donné la difficulté évidente d’affecter ces unités cellulaires à des transports à la demande, si Seatrade prévoit de développer ou d’étendre le concept, elle devra se concentrer sur les commerces qui requièrent un service à l’année. Outre Meridian, Seatrade compte deux autres services réguliers à l’année : les lignes de transport de banane Rayo et Caribanex, actuellement exploitées par des navires reefers spécialisés. Avec une forte tendance à la conteneurisation des bananes, le changement de culture devrait se faire en douceur et la transition ne devrait pas être compliquée à mettre en œuvre. Il serait peut-être même possible de reprendre des parts de marché aux transporteurs tiers, surtout si Seatrade peut apporter quelque avantage.

Toutefois, si Seatrade poursuit son objectif de conteneurisation, des conséquences sont à prévoir, non seulement pour les armateurs de grands navires des différentes flottes, mais aussi pour les gérants des ports et terminaux qui dépendent des dessertes des navires de Seatrade. Face au segment des plus de 500 cbft dont la durée de vie moyenne dépasse les 22 ans et le délai de fabrication d’une unité Colour Class d’environ 18 mois, la fenêtre d’opportunité pour Seatrade et les affréteurs de banane, ananas, melon et mangue qui misent sur cette alternative rapide, dédiée et directe, se rétrécit à chaque instant.

Sur un autre plan, le retard d’un an dans la construction du terminal à conteneurs de Moín (TCM) d’un milliard USD est une mauvaise nouvelle pour la filiale d’AP Moeller Maersk, APM Terminals (APMT), les clients de son transporteur et les chargeurs. Mais il permet de diminuer la pression qui pèse sur les services des reefers spécialisés. Le coût du retard est estimé à 900 000 USD pour APMT.

Le report de l’ouverture du port de février 2018 à février 2019 a été confirmé par Kenneth Waugh, directeur d’APMT. Le retard est dû à des difficultés de mise en place des piliers destinés à consolider les fondations de la superstructure. Le TCM étant construit sur un terrain gagné sur la mer, les grues portuaires devront être suffisamment stables pour assurer la manutention de navires de plus de 8 000 EVP, d’où l’importance de la structure.

Richard Bright, consultant
info@reefertrends.com

 

Des augmentations massives de prix attendues

Selon le cabinet de conseil maritime Drewry, les expéditeurs de produits périssables devant voyager en conteneurs reefers (sur des services de ligne tiers) peuvent s’attendre à des « augmentations massives de prix » dès maintenant et pour les prochaines années, de la part des transporteurs des trois alliances majeures. Drewry indique que les tarifs sont déjà à la hausse, mais il peut s’agir d’une simple « correction de trajectoire » après la guerre des prix de 2016. Le cabinet s’attend à l’arrivée d’une succession de hausses des prix plus fortes que nécessaire pour la rentabilité des transporteurs. Ces derniers concentreront le plus de pouvoir dans les négociations, alors que les clients des reefers ont déjà payé un tribut excessivement lourd eu égard aux nouveaux réseaux établis par les lignes.

Que les prix grimpent l’année prochaine ou en 2022, le mode spécialisé alternatif n’aura que peu de possibilités de riposte. Les chargeurs, affréteurs et les détaillants se retrouvent subitement exposés et vulnérables. L’ampleur des investissements consentis par l’industrie des conteneurs pour enchaîner les reefers, tant en termes d’équipement, de logiciels et d’infrastructures, a non seulement transformé le transport de produits périssables, mais a aussi redéfini la manière de commercer tout au long de la chaîne. Le secteur a besoin d’un retour sur investissement : la formation d’alliances et la disparition des reefers faciliteront grandement cet objectif. Les acteurs situés aux extrémités de la chaîne feraient bien de se souvenir que ce sont les transporteurs désormais qui mènent la barque.

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