Marché européen de l’ananas

  • Publié le 22/06/2017 - Elaboré par LOEILLET Denis
  • FruiTrop n°249 , Page 22 à 25
  • Gratuit

ANANAS contre ananas : la seule issue

L’ananas par bateau a perdu depuis longtemps ses lettres de noblesse qualitative au profit d’un développement fulgurant des quantités commercialisées. Soit on s’y résigne et on scrute avec angoisse le niveau hebdomadaire des débarquements en provenance du Costa Rica ; soit on essaye de contrecarrer cette perte de noblesse en segmentant le marché par un travail sur la qualité ou le développement d’une offre autour du fresh-cut.

Ouvrir/Fermer Boutique

"Cas désespéré » ou « cas d’école », on hésite encore à qualifier le marché européen de l’ananas bateau. La première option est sans doute un peu définitive. Le marché de l’ananas sera toujours un marché où le volume prime sur la qualité, perdue d’ailleurs depuis longtemps. Les tenants de cette option, sans doute grincheux, font le constat que le seul régulateur du niveau de valorisation au stade importation, et donc production, est le niveau de l’offre. La compétitivité hors prix n’a pas beaucoup de place dans un tel fonctionnement de marché. La météo ou les faillites de producteurs fixent le niveau d’approvisionnement et les prix s’ajustent. C’est en quelque sorte un marché parfaitement « néo-libéral compatible ». L’ajustement de la courbe offre/demande se fait par le prix.

Les chiffres européens confirment cette hypothèse. C’est en 2014 que ce marché a atteint son point de rupture. A cette époque, l’UE importait près de 940 000 t d’ananas, soit un bond de 300 000 t en seulement une décennie. Côté face, tout allait donc bien. Côté pile, c’était la catastrophe économique ! On était passé en deçà de 7 euros du carton au stade importation, soit le point le plus bas (en moyenne annuelle) jamais atteint. Des faillites en série au Costa Rica, du fait de piteux retours économiques, ont enclenché une baisse de l’offre qui s’est traduite dès les premiers mois de 2015 par un rebond très vigoureux des prix import. La moyenne 2015 a pris 2 euros du carton pour atteindre 9 euros, niveau totalement confirmé en 2016. Par conséquent, le point d’équilibre entre un marché déprimé et un marché qui crée de la valeur se situerait en deçà de 850 000 tonnes. Certes, cette analyse se borne à rapprocher des résultats annuels de prix et de volumes. Les choses sont plus complexes si l’on étudie ce marché à la semaine ou même au mois. La volatilité est plus ou moins forte, mais dépend dans tous les cas du rythme d’approvisionnement du marché par le Costa Rica. Ce fut encore le cas sur les quatre premiers mois de l’année 2017.

Au cours du 1er trimestre 2017, le Costa Rica a réduit la voilure d’environ 10 000 t, par rapport à la même période de 2016, suffisamment pour que les prix se maintiennent à des niveaux comparables à ceux de la même période en 2015 ou 2016. Malheureusement, ce n’est pas le fait d’une meilleure gestion des volumes en amont, mais plutôt des effets indésirables et incontrôlables d’une mauvaise météo en 2016, liés au redoutable phénomène du Niño. Résultat des courses, l’alternance de sécheresses et de pluies intenses sur la fin d’année ont empêché les floraisons naturelles et ont donc entraîné la réduction des apports au 1er trimestre.

L’approvisionnement est reparti à la hausse en avril sans pour autant peser sur les prix, du fait d’une demande bien orientée partout en Europe : période faste en termes de demande pour les fruits tropicaux (opérations de Pâques), sous-approvisionnement en mars, pression très faible des fruits concurrents, températures froides, etc. A partir de mai, l’offre a été plus présente avec un prix orienté à la baisse. CQFD. Volume et prix sont invariablement unis pour le meilleur mais plus souvent pour le pire. Invariablement, ne veut pas dire pour autant inexorablement.

ananas frais - UE - import hors costa rica
ananas frais - UE - import hors costa rica
ananas frais - UE - import
ananas frais - UE - import

En effet, il n’y a pas de fatalité à ce que ce marché ne soit qu’une commodité agricole. Son potentiel est tout autre. Les valeurs intrinsèques de l’ananas sont multiples : il est largement connu du grand public mais garde un fort caractère exotique, ses atouts sont originaux (couleur, yeux, couronne), ses qualités nutritionnelles reconnues, etc. Alors pourquoi en faire un produit de base allant même jusqu’à lui retirer sa couronne ? Le destin de l’ananas n’est pas celui de devenir une vulgaire patate ou une banane. Et c’est là qu’on aimerait hésiter avec le qualificatif avancé en début d’article :  « cas d’école ». Celui-là même qui nous dit que, sur un marché de masse, on doit segmenter l’offre pour pouvoir tirer son épingle du jeu. C’est ce que font un certain nombre d’opérateurs. Les volumes d’ananas concernés sont encore limités, mais ils suscitent l’enthousiasme car c’est la seule et unique issue pour sortir l’ananas frais de la paupérisation.

Une des planches de salut de l’ananas se niche entre le frais et le transformé. En effet, l’ananas transformé prêt à consommer, d’une DLC plutôt courte (quatrième gamme, fresh-cut, etc.) gagne des mètres de linéaires. Les développements sont rapides et beaucoup d’opérateurs se mettent sur ce créneau avec des stratégies différenciées : de l’usine de transformation sur les marchés d’importation jusqu’à la découpe de fruits frais dans le magasin même. C’est dans la même veine que les machines à jus d’orange, localisées dans les lieux de passage mais aussi au sein même des rayons fruits et légumes. Mais la création d’une valeur ajoutée supplémentaire concerne essentiellement, voire même exclusivement, l’aval de la filière. On importe des fruits frais pour la transformation. Les critères de qualité pour ce genre de fruits sont différents et, sur certains points, plus permissifs que ceux pour la vente en frais. C’est donc sans doute très bon pour la consommation en général, mais peu révolutionnaire pour la partie amont des filières.

Une autre planche de salut, celle-là plus classique, est également explorée ou plutôt redécouverte. Que nous disent les textes de loi du marketing ? Segmenter pour mieux gagner. Et pour segmenter, il faut d’abord assurer la qualité et donc rassurer les clients. L’une des manières de faire, qui n’est sans doute pas la seule, est de maîtriser son approvisionnement et donc les pratiques agricoles et logistiques en amont de l’importation. La qualité, mot-valise par excellence souvent un peu trop pratique pour être honnête, peut aussi être porteur de vraie valeur ajoutée et pas de green, social ou quality washing. Le respect d’un degré brix, d’un ratio brix/acidité, d’une coloration (interne plus qu’externe), l’absence de défauts physiologiques ou de maladies de conservation, des engagements sur de bonnes pratiques agricoles respectueuses des hommes et de leur environnement, d’un terroir, etc. Beaucoup de choses peuvent être faites et sont actuellement tentées. Dans la même veine, il faut réapprendre aux clients (consommateurs et acheteurs de la grande distribution) que la coloration externe d’un fruit ne témoigne pas vraiment de sa qualité intrinsèque. Le chemin est donc long car il faut à chaque fois déconstruire des mythes ou des croyances ancrées depuis plus de vingt ans dans les mœurs du secteur et des consommateurs. La distribution doit elle aussi être réceptive à ces efforts et accompagner les opérateurs qui souhaitent travailler autrement.

ananas - costa rica - export mensuel
ananas - costa rica - export mensuel
ananas bateau sweet - allemagne - prix import
ananas bateau sweet - allemagne - prix import

Cliquez sur "Continuer" pour poursuivre vos achats ou sur "Voir votre panier" pour terminer la commande.