Marché mondial de l’ananas

  • Publié le 31/10/2013 - Elaboré par LOEILLET Denis
  • FruiTrop n°215 , Page 32 à 39
  • Gratuit

Jusqu’à quand ?

Ne boudons pas notre petit plaisir. Le marché de l’ananas, notamment en Europe, va mieux… un peu mieux. Les prix import ont cessé de diminuer et l’extrême volatilité et la nervosité des marchés se sont calmées. La satisfaction doit être pourtant dosée. Car cette très fragile et heureuse accalmie sur le marché européen de l’ananas semble n’être que la résultante d’une simple baisse conjoncturelle des mises en marché.

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A n’en point douter, le marché de l’ananas est encore et toujours aux portes de l’enfer. La faute originelle est malheureusement toujours la même : une offre mondiale structurellement excédentaire. L’équation est pourtant simple à résoudre, mais il n’y a que les aléas climatiques ou les problèmes agronomiques qui semblent en avoir la clé. Le strict parallèle avec la banane est d’ailleurs intéressant, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. Plus généralement, ces deux produits posent la problématique de la gestion des marchés agricoles. L’absence de coordination de marché ou de régulation est, pour les produits agricoles, un handicap majeur au développement sans heurt d’un marché et à une bonne et juste valorisation d’un produit. Pensée hérétique dans un monde où la dérégulation comme mère de tous les progrès est une religion.

Que nous disent les statistiques mondiales ? Malheureusement, il faudra pour l’instant se contenter des données de 2011. Elles montrent une forte augmentation de la production mondiale : + 8 % par rapport à 2010 et + 11 % sur la moyenne triennale 2009-10-11. La production s’approche des 22 millions de tonnes, deux fois plus qu’en 1987. Les importations mondiales d’ananas frais suivent parfaitement la tendance haussière constatée en production. La barre des 3 millions de tonnes a été frôlée en 2011, un doublement en seulement huit ans ! Le commerce mondial de l’ananas transformé (jus et conserve) participe aussi à l’internationalisation de ce fruit. Quatre ananas produits sur dix se retrouvent sur le marché mondial, dont 68 % en frais (cf. encadré). La référence à 2011 n’est pourtant pas la meilleure dans le contexte de marché où nous nous trouvons. En effet, ce fut encore une année de croissance des importations. Mais ce n’est plus le cas en Europe, contrairement aux Etats-Unis (cf. encadré), puits sans fond de l’ananas. On devrait donc voir apparaître, dans les prochains chiffres de la FAO, une rupture de tendance tant pour la production mondiale que pour l’exportation.

ANANAS FRAIS UE IMPORTATIONS
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ANANAS FRAIS UE IMPORTATIONS 2
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ANANAS FRAIS UE PART DE MARCHE
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Le revers de la médaille

Les chiffres de 2011 sont certes à relativiser, mais on ne peut que se féliciter qu’un produit ait tant de succès et en un temps record. Revers de la médaille : au fur et à mesure de sa démocratisation, ce fruit est passé du statut de fruit exotique, dans son acception la plus festive, à celui de commodity qui fait partie du fond de rayon de beaucoup de supermarchés européens. Mais comment imaginer une autre fin lorsque le marché de l’ananas représente déjà, rien que pour l’Europe, un cinquième du marché bananier, le nec-plus ultra de l’import ! Il y a bien longtemps que le marché de niche s’est transformé en marché de masse, avec tous les attributs : prix bas et très fluctuants, spectre très (trop) large de qualité, offres spot très perturbatrices, désaisonnalisation (trop présent toute l’année), etc. Cet alanguissement du marché est renforcé par ce qui l’avait boosté : la variété MD-2. Ananas phare de Del Monte du milieu des années 90, et cela pendant plus d’une décennie, il fait désormais figure de cœur de gamme, souvent pas très bon, souvent pas très présentable et trop souvent peu attirant. La triste et très classique histoire d’une segmentation réussie, tellement réussie que l’outsider a tué le maître, l’historique Cayenne lisse, pour devenir l’unique référence du marché.

Le crime fut parfait jusqu’à la diffusion incontrôlée de la variété. Plutôt que de diffusion, on pourrait parler de prolifération, voire même de pullulement. L’imitation étant bien plus répandue dans l’univers que l’innovation, des producteurs de toutes sortes (de très grands comme de très petits) se sont jetés sur la poule aux oeufs d’or. Sauf que, même si le MD-2 n’est pas très complexe à produire, Del Monte avait de longues années d’expérience agronomique et surtout une chaîne de conditionnement, de transport et de distribution qui ne laissait rien au hasard. Sans maîtrise technique, ne serait-ce qu’a minima, la variété a sombré en termes de qualité. L’inflation des volumes évoquée plus haut a, bien entendu, accéléré cette dérive suicidaire.

ANANAS FRAIS IMPORTATIONS 3
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ananas frais ue consommation
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Costa Rica : en plein déni de surproduction

Cette explosion a conduit à un doublement des mises en marché en moins d’une décennie en Europe et en sept ans pour les Etats-Unis. Ce qui a été gagné en diversité d’acteurs commerciaux sur cette période a été perdu en diversité d’origines. Le géant costaricien a totalement annihilé la concurrence. En 2012, il représentait 85 % de l’offre, tant sur le marché de l’UE-27 que sur celui des Etats-Unis. Une totale hégémonie d’une origine qui cache, nous l’avons dit, une hétérogénéité extrême des situations au Costa Rica même (cf. encadré). Le secteur est polyforme. L’organisation professionnelle nationale, la Canapep, recense plus de 1 300 producteurs, dont seulement 10 % sont grands à moyens. La majorité de la superficie plantée (65 %) est aux mains de producteurs indépendants qui ne maîtrisent pas en propre l’activité d’exportation.

D’autres origines ont bien tenté de prendre pied sur le marché mondial. On ne compte plus les plans de développement, les grandes causes nationales, les projets ambitieux. Résultat des courses : veni, vidi mais pas vici. L’Equateur, qui avait de très fortes ambitions, a annoncé en mars 2013 que la superficie dédiée à l’ananas avait baissé des trois quarts (source : Reefer Trends). Il ne resterait que 1 500 ha sur les 5 500 que comptait l’Equateur en 2003. Sans exception, toutes les origines qui complétaient l’offre costaricienne ont réduit leurs positions dans l’UE. La situation est un peu différente aux Etats-Unis. Le Mexique, deuxième fournisseur avec seulement 6 % de part de marché en 2012, a réalisé sa meilleure année. Idem pour le Honduras (part de marché de 4 %) qui continue sa lente progression. Tant aux Etats-Unis que dans l’UE, l’Equateur s’effondre. Le Panama, le Guatemala et tous les autres ont au mieux maintenu leurs exportations. Côté origines africaines sur le marché européen, la situation n’est pas meilleure. Comme attendu, le Cameroun (6e fournisseur) a plongé en 2012 et la tendance s’est confirmée au 1er semestre 2013. La Côte d’Ivoire semble avoir stoppé sa chute libre. Elle a conservé sa place de 4e fournisseur et fait un bond au 1er semestre 2013. Le Ghana, deuxième fournisseur devant le Panama, a retrouvé le chemin de la croissance au 1er semestre 2013, après une année 2012 en demi-teinte. Parmi les origines plus confidentielles, le Bénin (moins de 2 500 tonnes/an) est en phase de conquête sur le marché de l’ananas Pain de sucre par avion. Dans les profondeurs du classement, on trouve le Togo qui maintient bon an mal an ses performances à un peu moins de 1 000 tonnes exportées vers l’UE par an.

ananas du costa rica valeurs importations ue
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Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel

De manière plus générale, l’année 2012 nous a apporté la preuve que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel… sauf peut-être aux Etats-Unis. En effet, alors que le marché de l’UE s’est contracté en 2012 de 55 000 tonnes (- 6 % sur 2011), celui des Etats-Unis a continué son expansion et pas qu’un peu : il a gagné 13 % en volume. C’est faramineux ! Au rythme où va la consommation, de l’ordre de 925 000 tonnes, le million de tonnes sera atteint bien avant la fin de l’année 2013. Etant donné la structure de l’offre, c’est le Costa Rica qui donne le la. Il a progressé de plus de 16 % entre 2011 et 2012. Côté UE, la situation est donc toute différente. Après avoir atteint 919 000 tonnes en 2011 dans une situation de marché dégradé, on semble revenir à la raison et à un niveau d’approvisionnement autour de 850 000 tonnes, qui paraît en meilleure adéquation avec le potentiel d’absorption du marché. Par trois fois depuis 2008, la frontière des 900 000 tonnes a été franchie, trois fois de trop pour la rentabilité de cette filière.

La consommation européenne est de 1.7 kg par habitant et par an, niveau en baisse de 100 g entre 2011 et 2012. Rappelons qu’elle a triplé en moins de quinze ans, mais que la tendance est à la stabilisation depuis 2008. Cette moyenne cache une très forte diversité selon les Etats membres. Dans le précédent dossier ananas de FruiTrop (n°204, octobre 2012, page 41), nous avions montré qu’il ne fallait pas attendre de miracle du côté des nouveaux Etats membres d’Europe de l’Est. Leur consommation se développe certes, mais ils partent de très loin et leur progression est très lente. La plupart de ces pays ne consomment que 300 à 400 g (au mieux) par an, à peine un tiers d’ananas par habitant et par an.

ananas du cota rica valeurs importations usa
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Forte pression sur les marges

Dans la suite du dossier, Thierry Paqui revient sur le déroulement de campagne et montre comment la baisse de l’offre s’est traduite dans la valorisation de l’ananas en Europe. Globalement, en moyenne annuelle, on constate effectivement un frémissement au stade importation. Le prix moyen du carton s’est maintenu à 7 euros en 2012 et gagne même 0.50 euro sur les neuf premiers mois de 2013. Mais la nouveauté se trouve dans le resserrement de la fourchette des prix. Ils n’évoluent plus depuis 2012 que dans une bande allant de 6 à 8 euros/carton. Comme le montre le graphique d’évolution des prix en Allemagne, on est loin de la fourchette de 5 à près de 11 euros/carton de la terrible année 2011. La volatilité du marché semble repartir un peu à la hausse en 2013, mais à partir d’un prix moyen plus élevé (7.5 euros/carton).

Il ne faut tout de même pas crier victoire. La cicatrice saigne encore. On voit bien que la situation est fragile et tient à une réduction salutaire mais involontaire de l’offre, notamment celle du Costa Rica, et à un marché américain qui tire, voire même porte la dynamique mondiale. On peut d’ailleurs se demander si, là-bas aussi, trop c’est trop. La valeur en douane aux Etats-Unis a fléchi pour la troisième année consécutive alors qu’elle s’est stabilisée en Europe. Depuis 2009, la valeur de l’ananas aux frontières américaines a perdu plus de 100 USD/tonne, soit une baisse de 16 % ! Et ce n’est pas l’effet du taux de change qui a donné de l’air aux exportateurs car depuis 2009, en monnaie locale, le revenu des opérateurs a chuté d’un quart. Le prix des facteurs de production n’a pas baissé pour autant. Bien au contraire ! Par exemple, les engrais sont passés d’un indice 204 en 2009 (indice 100 en 2005) à 259 en 2012, soit une inflation de 26 % aussi importante que la déflation sur le prix import de l’ananas aux Etats-Unis. L’effet de ciseau entre coût et prix de vente est inquiétant. Il en va de même pour l’énergie qui passe sur la période d’un indice 114 à 187 (source : Banque mondiale). Le glissement des coûts de production au Panama illustrent parfaitement la pression sur les marges. Entre 2011 et 2012, le coût de production d’un hectare d’ananas a augmenté de près de 30 %, passant de 22 000 à 28 000 USD/hectare (source : La Prensa). Il n’y a guère que la République dominicaine pour y croire encore. Elle vient d’annoncer des plans de développement et a planté des millions de plants, on parle de 10 millions, ce qui fait entre 200 et 250 hectares (source : Reefer Trends).

Et ce n’est pas du côté européen que les producteurs costariciens trouveront leur rédemption. Certes les prix en monnaie nationale (colon) ont cessé de baisser et ont même amorcé une légère remontée en 2013, mais la situation reste très précaire. Dans une note parue en 2012, les analystes de la banque costaricienne BCR faisaient un parallèle entre l’appréciation du colon face au dollar et la perte de rentabilité et de compétitivité du secteur de l’ananas. L’étude évoquait même une probable relation entre la chute importante du nombre d’exportateurs et cette appréciation du colon. En effet, leur nombre est passé de 144 en 2007 à 116 en 2011. En juin 2013, un rapport du ministère de l’Agriculture a enfoncé le clou. Selon le site Reefer Trends, sur les 350 entreprises inspectées par les autorités, 150 sont en grande difficulté pour payer leurs dettes.

La situation du Ghana est aussi un bon exemple de l’influence du taux de change sur la valorisation des produits d’exportation. Ici c’est l’effet bénéfique d’une dépréciation de la monnaie nationale face à l’euro que l’on constate. Depuis le début des années 2000, le nouveau cedi ghanéen perd régulièrement du terrain face à l’euro. Entre 2010 et 2013, il a perdu 28 % de sa valeur. La traduction en cedi des prix import UE libellés en euros a bondi mécaniquement de 46 %. C’est évidemment une des raisons du maintien de cette origine à la deuxième place du podium européen.

Et puis on ne peut pas parler ananas sans évoquer la problématique de ses impacts environnementaux et notamment ceux liés à l’usage des pesticides. On citera par exemple la décision de deux municipalités situées sur la côte Caraïbe (mai 2012) d’interdire l’extension des superficies d’ananas sur leur territoire ou encore les accusations portées par les riverains de plantations (près de Limon) sur la pollution des eaux et l’augmentation de la mortalité des poissons (juillet 2013). Les mauvaises conditions de travail des ouvriers sont aussi pointées régulièrement du doigt par les ONG, comme en 2010 par Consumers International. Le secteur est sous haute surveillance et se doit de fournir à ses clients, distributeurs ou consommateurs, des garanties sur la grande qualité sociale et environnementale des produits exportés. C’est une évidence du point de vue des marchés de consommation, mais qui est loin d’être partagée par tous en zones de production. Attention donc aux effets dévastateurs de quelques inconscients qui font peser de lourdes menaces sur un secteur porteur de développement économique et social.

ananas du ghana valeurs des importations ue
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Hasta la muerte sans passer par la case victoria

Globalement, le tableau est en demi-teinte. Le marché n’a plus de pilote et évolue au gré de la pression de l’offre, et donc des aléas climatiques et agronomiques, et de la rentabilité comparée des opérateurs, pour laquelle le taux de change joue un rôle non négligeable. Il semble que le marché européen soit calibré pour absorber 800 000 à 850 000 tonnes par an. Le marché américain semble avoir atteint aussi une limite autour de 900 000 tonnes. C’est la théorie. Dans la pratique, personne n’est là pour tenir les comptes et surtout pour fermer les robinets en cas d’inondation. Il faudra donc être fataliste et subir les déferlantes. Une sorte de condamnation à vie ou au moins jusqu’à ce que mort commerciale des plus faibles s’en suive !

ananas ue prix au stade import
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