Banane équitable

  • Publié le 31/03/2014 - Elaboré par BRIGHT Richard
  • FruiTrop n°220 , Page 19 à 21
  • Gratuit

Le message aurait-il raté sa cible ?

Les ONG profitent souvent du coup d’envoi de la quinzaine du commerce équitable outre-manche pour vilipender la grande distribution sur ses politiques de prix sur la banane. Cette année ne fera pas exception. En fait, la Fairtrade Foundation, l’équivalent de Max Havelaar France, a cette fois dépassé le stade des critiques pour demander au gouvernement britannique d’intervenir dans une guerre des prix qui pourrait, dit-on, entraîner une pénurie sur le long terme.

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Dans son analyse, la Fairtrade Foundation, dont la mission est de protéger les producteurs des pays en développement, explique que le prix de la banane affiché chez les distributeurs au Royaume-Uni a presque été diminué de moitié ces dix dernières années. Elle souligne que cette chute des prix est intervenue alors que d’autres aliments de base comme le pain, les oeufs, le lait et le sucre ont augmenté de 79 % en moyenne. Pour Michael Gidney, directeur général de la Fairtrade Foundation, l’effet de ciseau révélé par cette étude défavorise les producteurs, les empêche de développer une exploitation pérenne et de sortir de la pauvreté.

Le British Retail Consortium (Principale association professionnelle défendant les intérêts du secteur britannique de la distribution) a rejeté cette assertion : « Le fait que les supermarchés vendent la banane en dessous de la marge n’a aucune incidence sur le montant payé aux producteurs. Ces derniers, tout comme les clients, obtiennent un bon prix. Les supermarchés vendent une gamme tellement large de produits qu’ils peuvent choisir d’en vendre certains à perte ».

En ce qui concerne le lait, son prix a augmenté à la suite d’une action de grande ampleur initiée par les fermiers et soutenue par les consommateurs. La grande distribution s’est vue contrainte de signer des accords avec ses fournisseurs sur des montants couvrant au minimum les coûts de production. Pour M. Gidney, les producteurs de banane sont, eux, trop éloignés géographiquement pour communiquer efficacement sur leur situation difficile.

Sans surprise, le gouvernement britannique est peu disposé à intervenir. « Prendre part aux mécanismes de fixation des prix n’est pas de notre ressort. Le prix payé par le consommateur aux caisses ne concerne que les supermarchés », déclarait un porte-parole ministériel.

D’aucuns pourraient penser que la Fairtrade Foundation est en train de se fourvoyer en se lançant dans un tel plaidoyer. Non pas que les points soulevés soient illégitimes, mais elle ne s’adresse tout simplement pas au bon interlocuteur. Tout d’abord, le gouvernement britannique a peu de chance de s’immiscer dans une transaction commerciale, sauf en cas d’illégalité ou de menace relevant de la sécurité (alimentaire) nationale, et cela quelle que soit la légitimité de la plainte : au Royaume-Uni, la banane n’est pas considérée comme une denrée alimentaire de base, comme le pain ou les produits laitiers.

Les distributeurs, ensuite, ont tous les droits d’établir le prix comme bon leur semble. La banane est et restera le champion de la vente à perte des rayons frais, et ceci, aussi longtemps que l’offre restera abondante. La bonne conscience n’est pas un trait caractéristique des distributeurs : ils mettent en avant la moralité du commerce équitable uniquement si elle se justifie d’un point de vue commercial. Toute autre considération est jugée suicidaire.

banane prix
banane prix

Troisième point : le prix est le principal moteur des consommateurs. Si un consommateur pouvait faire la différence entre deux bananes, de la même manière qu’un kiwi de Nouvelle-Zélande se distingue d’un kiwi du Chili, ou une pomme Jazz d’une braeburn, il y aurait alors la possibilité d’une segmentation. Mais c’est impossible. Les multinationales de la banane peuvent bien protester, mais une banane issue du commerce équitable ne se différencie en rien d’une autre banane sans nom ni marque. La banane a de fait perdu son identité exotique ; aujourd’hui, elle n’est, ni plus ni moins, qu’un produit de base. Et c’est bien pour cette raison que les grandes marques de banane dépensent si peu en campagnes publicitaires : les fruits en général, et tout particulièrement la banane, entrent malheureusement aujourd’hui dans la même catégorie que les litières pour chat. Quand un produit est à ce point devenu générique et que toute tentative de construction de marque est vaine, l’intérêt commercial se polarise alors sur la réduction des coûts de production.

Si cet argument est sensé, il amène un autre « créateur de valeur » en ligne de mire. Malgré leurs fortes campagnes de communication, quelle valeur apportent les certifications Rainforest Alliance ou encore SA8000 à la banane ? Ces certifications sont-elles des critères d’approvisionnement pour les distributeurs ? Ces certifications, quelles qu’elles soient, influencent-elles les comportements d’achat ? Non et encore non… Mais devrait-il en être autrement ? Oui bien sûr ! Parce que si les certifications créaient de la valeur, et non pas seulement des coûts, le mouvement représenté par le commerce équitable deviendrait inutile ; mouvement qui, au risque d’être brutal, manipule la conscience et/ou la compassion des consommateurs des pays développés. Pour être juste, il n’a pas le choix : les producteurs qui sont au centre des campagnes de la Fairtrade Foundation ne sont rien d’autre que des victimes ; pour leur survie, ils sont totalement dépendants de mécanismes échappant entièrement à leur contrôle.

Dans un environnement commercial comme celui du Royaume-Uni, qui favorise largement le consommateur par rapport au fournisseur, le premier maillon de la chaîne supportera toujours le poids des coûts. Dans l’hypothèse où les normes et les règlements de l’OMC étaient amendés, la véritable solution au casse-tête équitable se trouve à l’amont et non pas à l’aval. Pour sortir de la pauvreté, il faut être capable de prendre son destin en main.

banane comparaisons
banane comparaisons

En réalité, il n’y a que deux manières d’augmenter les revenus des producteurs de banane : par décret ou en limitant les quantités disponibles. Et quelle que soit la solution choisie, un autre problème se pose : à moins d’un mouvement collectif provenant de l’ensemble des pays producteurs, ceux qui légiféreront ou diminueront volontairement leur production seront désavantagés face à ceux qui ne feront rien. L’Équateur en est un bon exemple.

Si la Fairtrade Foundation cherche réellement une solution universelle, elle devrait se pencher sur les causes plutôt que de tenter de traiter des symptômes incurables. Elle pourrait par exemple remonter cette affaire « des forces du marché » auprès des gouvernements des pays les plus affectés par la guerre des prix de la banane qui se joue au Royaume-Uni et en Europe du Nord, et les placer devant leurs responsabilités au nom de la détresse de leurs propres citoyens. Hélas, l’Amérique latine pourrait bien renvoyer le même message que le Royaume-Uni, mais pour des raisons différentes : trop d’intérêts en place ! Et puis de toute façon, ce travail est déjà en cours sous l’égide et la direction du Forum Mondial de la Banane .

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