Marché mondial de l’avocat

  • Publié le 23/09/2016 - Elaboré par IMBERT Eric
  • FruiTrop n°243 , Page 42 à 51
  • Gratuit

Production mexicaine : un raz de marée… bien canalisé

« Dormez, braves gens », la douce berceuse des succès commerciaux, qui chaque année s’enchaînent sur le marché mondial de l’avocat, en viendrait presque à faire oublier que le verger mondial n’est pas statique. On plante, on plante même beaucoup au Mexique, au point que l’unité de mesure de la croissance annuelle est la dizaine de milliers d’hectares depuis au moins quatre ans. Faut-il craindre un mouvement d’une telle envergure au Mexique, dont les proportions sont déjà si impressionnantes qu’il peut faire la pluie et le beau temps sur le commerce international ?

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Un leader mondial incontesté, assis sur des racines solides

Le Mexique avait beaucoup d’atouts en main pour jouer les premiers rôles sur le marché mondial de l’avocat. Des racines tout d’abord, puisque le pays est le berceau d’une des trois races dont découlent toutes les variétés cultivées aujourd’hui. D’ailleurs, c’est d’une langue vernaculaire mexicaine, le Nahualt, que l’avocat tire son nom. Des aptitudes à la culture aussi, avec notamment des conditions pédoclimatiques particulièrement adaptées dans la partie centrale du pays : des sols volcaniques riches et drainants, des températures permettant d’avoir un excellent fonctionnement photosynthétique et de s’affranchir des risque de gel, une bonne disponibilité en eau de grande qualité. Avec un tel potentiel et un si long pedigree, il n’est pas étonnant que ce pays exerce un rôle aussi prépondérant sur l’industrie mondiale de l’avocat, dont il contrôle près du tiers de la production (avec environ 1.6 million de tonnes) et deux tiers des exportations (cap du million de tonnes approché de très près en 2015-16). Si le Mexique est important pour l’avocat, l’avocat est lui aussi important pour le Mexique, le secteur étant aujourd’hui un poids lourd de son économie. Les 18 000 producteurs et la quarantaine de stations de conditionnement du pays génèrent près de 100 000 emplois directs et un chiffre d’affaires à l’export qui devrait être de l’ordre de 2 milliards USD en 2015-16. 

cartes pays producteurs amerique
cartes pays producteurs amerique
avocat Hass - estimation ses surfaces plantees et production dans principales zones productrices mondiales
avocat Hass - estimation ses surfaces plantees et production dans principales zones productrices mondiales

Un développement rapide, localisé et assis sur une large base productive

Cette industrie aux proportions gigantesques a été construite en seulement une cinquantaine d’années. Ses fondations ont été jetées à la fin des années 1950, avec l’introduction dans le Michoacán de variétés améliorées comme le Fuerte et le Hass en provenance de Californie. La demande croissante du marché local, vite converti au Hass, et les mesures d’appui proposées dans le cadre du plan national de promotion de la fruiticulture (CONAFRUT), ont provoqué une explosion des surfaces à partir du début des années 1970. Une large base productive composée d’investisseurs ou d’agriculteurs, souvent étrangers à la culture, a alors émergé, chacun mettant en place des vergers de taille plutôt petite à moyenne, avec des systèmes de culture généralement très basiques. L’activité, peu rentable à partir du milieu des années 1980, est redevenue des plus lucratives la décennie suivante, avec le démarrage de l’export et surtout la levée progressive à partir de 1997 de l’interdiction d’exporter vers le grand marché des États-Unis, qui était en place depuis 1917. Le verger mexicain, qui comptait moins de 10 000 ha au début des années 1960, s’étend aujourd’hui sur près de 190 000 ha. Il est concentré à plus de 80 % dans l’état du Michoacán, sur le piémont occidental de la Sierra Madre Occidental, notamment dans la commune d’Uruapan et dans celles attenantes.

avocat - carte michoacan
avocat - carte michoacan

Le Michoacán, un géant toujours en croissance

L’explosion de la production mexicaine est loin d’être terminée. Le Michoacán, tout géant qu’il soit, n’en reste pas moins en croissance. D’une part, le verger existant est loin d’avoir exprimé son plein potentiel. Plus de 25 000 ha plantés ces trois dernières années ne sont pas encore entrés en production, alors que près de 20 000 ha de jeunes arbres de moins de huit ans montent en puissance. D’autre part, si le mouvement de croissance des surfaces risque fort de s’atténuer, il ne devrait pas s’arrêter pour autant. Certes, la zone de culture historique d’Uruapan est à saturation, alors que l’opinion publique ne voit plus seulement la manne économique liée à cette culture, mais aussi ses externalités négatives : déboisement à outrance de la forêt primaire, tension sur l’eau et pollution des nappes phréatiques, insécurité liée à la guerre entre cartels pour mettre la main sur le juteux business de l’extorsion de fonds des producteurs. Cependant, les implantations de nouveaux vergers devraient se poursuivre à un rythme plus modéré, notamment dans les zones situées sur les marges est et ouest de la zone avocatière.

avocat - mexique - carte principaux etats producteurs
avocat - mexique - carte principaux etats producteurs
avocat - mexique - evolution des surfaces plantees du pays et des principaux etats
avocat - mexique - evolution des surfaces plantees du pays et des principaux etats

Marée verte en vue dans le Jalisco

Par ailleurs, la dynamique des autres états de la confédération mexicaine n’est pas à sous-estimer, surtout depuis la promulgation fin juin 2016 d’un décret de l’APHIS autorisant toutes les zones de production du pays à exporter vers les États-Unis, sous réserve du respect de contraintes phytosanitaires strictes. Les surfaces ont progressé de 1 500 ha par an en moyenne dans le Jalisco, où les producteurs avaient parié sur cette mesure et l’avaient anticipée. Avec plus de 17 000 ha, cet état voisin du Michoacán est désormais à la tête du quatrième verger de Hass au monde. Les surfaces devraient s’accroître encore plus sensiblement dans les années à venir, vu les avantages comparatifs dont dispose cette région : calendrier de production complétant celui du Michoacán grâce aux possibilités de cultiver le clone précoce Mendez, réserves foncières présentant de bonnes aptitudes, et techniques culturales plus pointues que dans le Michoacán permettant d’obtenir des rendements moyens d’environ 18 t/ha. D’autres états producteurs devraient aussi accroître leurs surfaces, même si leurs potentialités n’égalent vraisemblablement pas celles du Jalisco. Globalement, l’hypothèse d’un maintien, à l’horizon des cinq prochaines années, d’un rythme de croissance annuel de la production mexicaine similaire à celui connu depuis 2012 et de l’ordre de 100 000 t par an, n’est donc pas farfelue.

avocat - mexique - accroissement annuel de la production
avocat - mexique - accroissement annuel de la production
avocat - mexique - evolution de la production
avocat - mexique - evolution de la production

L’appétit des États-Unis pour l’avocat ne se dément pas

Certes, ces volumes sont colossaux, mais l’appétit du marché des États-Unis, destination naturelle des exportations mexicaines, ne l’est pas moins. La consommation a doublé en dix ans pour approcher le million de tonnes en 2014-15. Une performance exceptionnelle assise sur une base de près de 320 millions d’acheteurs potentiels de plus en plus fans d’avocat et sur les efforts promotionnels, sans équivalent dans le monde des fruits et légumes, développés par le HAB, organisation ad hoc créée par les professionnels et forte d’un budget ayant dépassant 50 millions USD en 2015. Peut-on pour autant imaginer le maintien à moyen terme de la dynamique de croissance de 10 % par an enregistrée durant la dernière décennie, alors que la consommation par habitant dépasse déjà les 3 kg/an ? La réponse à cette question est oui, ce qui pourrait laisser penser que l’avocatier est le seul arbre à monter jusqu’au ciel… Certes, le brutal décrochage de la croissance à 5 % en 2014 a semé le doute, les zones surconsommatrices de l’ouest américain connaissant pour la première fois une stabilité, voire même pour certaines une récession. Mais c’est l’offre et non pas la demande qui a fait défaut, et les pendules ont été remises à l’heure en 2015 avec un retour de la croissance à 19 % ! Si les volumes sont là, la consommation est encore capable d’avancer à pas de géant, même dans les zones du pays que l’on pensait proches de la saturation. Les perspectives sont donc des plus rassurantes, ce qui va nécessiter beaucoup de carburant : il faudra 100 000 t additionnelles par an pour assouvir les besoins du marché, si l’on table sur un taux de croissance de 10 % par an. Une hypothèse qui apparaît conservatoire, si l’on considère les réalisations des saisons précédentes et la part croissante de l’import dans l’approvisionnement, vu les problèmes structurels auxquels est confrontée une filière californienne plutôt déclinante.

USA - population par grande region
USA - population par grande region
avocat - USA - taux de penetration
avocat - USA - taux de penetration
avocat - USA - consommation et population par region
avocat - USA - consommation et population par region
avocat - USA - croissance annuelle du marche en comparaison annee precedente
avocat - USA - croissance annuelle du marche en comparaison annee precedente

Les États-Unis : un cœur de marché toujours incontournable

Si le marché des États-Unis dispose encore d’une phénoménale capacité de croissance, il n’a pas de pouvoir magique lui permettant de s’affranchir de l’érosion des prix liée à la hausse des volumes. Ce mouvement, couplé à la tendance inverse au raffermissement des cours enregistrée en Europe, est-il de nature à modifier profondément les arbitrages des exportateurs mexicains et à provoquer une marée verte sur le vieux continent ? La réponse est clairement non, car les États-Unis ont de nombreux atouts pour le Mexique. Le plus évident est celui de la proximité. Etre à moins d’une journée de camion de la frontière texane permet bien sûr de limiter les coûts logistiques, mais aussi et surtout de travailler en toute sérénité des avocats produits en climat subtropical, avec des techniques culturales restant souvent basiques, et d’un niveau de maturité pouvant être hétérogène, les fruits étant issus de vergers petits ou moyens (moins de 5 ha pour 75 % d’entre eux). Par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, les États-Unis sont moins exigeants en termes de qualité externe ou de calibre que l’Europe ou plus encore le Japon. Selon certains professionnels, le rendement à l’emballage pour les USA serait de l’ordre de 95 %, soit 10 à 15 points de plus que pour les autres marchés cités. Il faut aussi prendre en compte le fait que les exportateurs mexicains sont, pour une part significative, américains. Tous les grands noms du commerce américain de l’avocat sont présents de longue date dans le Michoacán, pour sourcer des fruits à destination des États-Unis (West Pack depuis 1996, Calavo depuis 1998, Mission depuis 1991). Ces structures transnationales contrôlaient 40 % des exportations en 2015-16.

avocat du mexique - ecart a la valeur en douane moyenne
avocat du mexique - ecart a la valeur en douane moyenne

De belles miettes pour le marché communautaire, mais sous conditions

Si l’accroissement de la production mexicaine devrait être surtout destiné à alimenter la croissance de la consommation des États-Unis, les marchés de diversification bénéficieront vraisemblablement de quelques volumes additionnels. Cette progression est très visible dans l’UE depuis 2012 : les livraisons mexicaines, qui avaient plongé à 3 000 t au début des années 2010, ont dépassé les 12 000 t en 2014-15 et ont pratiquement quadruplé en 2015-16 pour atteindre un niveau historique de 45 000 t. Des miettes pour le Mexique, car elles représentent moins de 0.5 % de ses exportations globales, mais qui sont loin d’être anodines pour le marché communautaire puisqu’elles ont constitué environ 20 % de l’approvisionnement du marché d’hiver lors de la dernière campagne. Ces volumes peuvent-ils mettre en péril l’équilibre du marché communautaire ? Là aussi, la réponse est clairement non car les importateurs européens ne peuvent travailler les fruits mexicains que si, et seulement si, les prix sont bons. Courtisés de toutes parts, les producteurs mexicains ont le pouvoir et imposent leur loi au reste de la filière. L’exportateur mexicain, qui achète ses fruits à prix ferme (souvent « sur l’arbre »), assume tous les risques commerciaux et exige lui aussi d’être payé cash par les importateurs avant de lâcher sa précieuse marchandise. La croissance de la production n’a pas modifié ces rapports de force très favorables à l’amont et cela ne devrait pas changer, du moins à moyen terme. Certains importateurs européens observent simplement un peu plus de flexibilité de la part des exportateurs mexicains en cas d’avarie. Par ailleurs, il faut aussi considérer que le marché européen n’est pas le seul à très bien se comporter, alors que les volumes alloués hors des États-Unis restent limités. Le Japon progresse peu en volume mais est toujours très lucratif, alors que la Chine, marché assurant des retours encore plus soutenus, décolle.

Vers un recentrage stratégique sur l’UE-28 des autres fournisseurs des États-Unis ?

Cette vague de production mexicaine, dont l’Union européenne ne récupérera vraisemblablement que l’écume, aura en revanche des effets indirects qui concerneront le marché communautaire. Si les frontières des États-Unis s’ouvrent et s’ouvriront de plus en plus largement aux avocats mexicains, la porte risque fort de se fermer, au moins partiellement, aux fruits des autres origines. Ces derniers devront trouver de nouvelles cibles sur un marché certes de plus en plus mondialisé, mais où l’UE restera encore longtemps la seule alternative d’envergure. L’exemple du Chili, fournisseur historique et clé du marché des États-Unis durant la saison d’hiver, mais en première ligne face à un Mexique plus compétitif, est des plus révélateurs. L’amont de la filière a dû se recentrer sur l’UE-28 et sur le marché local. Les chiffres donnent la mesure du revirement : les États-Unis, qui absorbaient environ les trois quarts des volumes exportés à la fin de la dernière décade, n’en ont reçu que 10 % en 2015-16, alors que l’Europe est devenue le marché central en captant plus de 70 % des envois. Ce précédent ne risque-t-il pas de se reproduire dans des pays ayant largement planté dans le but d’alimenter le marché des États-Unis ? Le cas du Pérou, dont le potentiel export devrait rapidement doubler pour atteindre 400 000 t, pose question. Idem pour la Colombie, pays aujourd’hui encore peu visible sur le marché international, mais qui dispose d’un jeune verger de plus de 10 000 ha en forte croissance.

Welcome to Europe, au moins durant l’hiver

Faut-il s’inquiéter de ces revirements potentiels ? Comme le marché des États-Unis, le marché communautaire a lui aussi besoin d’importants volumes additionnels pour assurer son développement. Le prix moyen n’a cessé de grimper, malgré une croissance de l’offre comprise entre 14 et 17 % ces quatre dernières campagnes. Une progression de seulement 10 %, hypothèse très conservatoire, nécessite plus de 40 000 t supplémentaires par an, soit la production d’environ 4 000 ha de vergers au rendement moyen. Certes, la rapidité de la montée en puissance de la production péruvienne pourrait poser question au cours des campagnes à venir (cf. FruiTrop 240). En revanche, ni les fournisseurs méditerranéens ni le Chili ne seront capables d’apporter ces volumes, du moins à moyen terme, durant la saison d’hiver où le sous-approvisionnement est le plus manifeste. Les grosses « miettes » mexicaines et les volumes additionnels de Colombie seront donc les bienvenus

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