Marché de l’affrètement au 1er semestre 2016

  • Publié le 23/09/2016 - Elaboré par BRIGHT Richard
  • FruiTrop n°243 , Page 32 à 35
  • Gratuit

Fret maritime

Finalement, le premier semestre 2016 ne s’est pas montré aussi rude que les prévisions l’avaient laissé entendre. Mais le réconfort est bien maigre pour les armateurs reefer et les lignes conteneurs, qui se sont livré une concurrence acharnée les uns contre les autres, voire même entre eux, pour s’assurer des volumes de marchandises suffisants, en recul d’une année sur l’autre et à un moment où les coûts du carburant repartaient à la hausse. Les tarifs en berne et les dépenses en augmentation ont inévitablement entraîné une baisse du TCE moyen, tant pour les grands que pour les petits segments, par rapport à la même période en 2015.

Ouvrir/Fermer Boutique

Au cœur de cette tourmente, les aspects positifs ont été rares pour les opérateurs reefer, sauf à dire que cela aurait pu être pire ! Le secteur peut s’estimer heureux que le récent phénomène El Niño ne se soit pas montré aussi destructeur sur la filière banane en Équateur que le dernier épisode de 1997. En effet, selon les données de l’association d’expéditeurs AEBE, l’exportateur mondial numéro un de banane a expédié un total de 162 millions de colis au 1er semestre, soit 1 million de colis de plus qu’au 1er semestre 2015. El Niño cette année avait pourtant suscité des craintes d’une baisse de volume de 30 % !

Étant donné l’évolution structurelle du modèle commercial, la tendance actuelle en faveur des contrats d’affrètement et des lignes régulières expose les transactions spot. Les rares opérations spot réalisées entre janvier et fin juin, en bananes ou fruits à pépins en provenance des côtes Est et Ouest de l’Amérique du Sud, sont un signe des difficultés rencontrées par les opérateurs sans contrat. Le marché n’a pas non plus épargné Rastoder, l’affréteur de banane en Méditerranée, qui a revu ses investissements à la baisse dans le secteur reefer depuis la fin de l’année dernière. Bien que Rastoder utilise aujourd’hui des services conteneurs tiers pour la majeure partie de ses bananes, il a toujours eu la possibilité de faire appel à un affréteur reefer à un prix raisonnable.

Après trois années florissantes pour le petit segment, les six premiers mois de 2016 furent excessivement compliqués. La demande en capacité a d’abord été frappée par la fin prématurée de la saison des pommes de terre entre le nord de l’Europe et l’Algérie, puis a souffert des faibles prises de calamars de février à avril. Pour autant, c’est un facteur indirect qui a le plus pesé sur la demande : pour les économies tributaires de la rente des hydrocarbures, les prix bas du pétrole et leurs devises nationales sont à l’origine de la mise en place de quotas d’importation, de contraintes commerciales dues aux taux de change et de débats sur l’autosuffisance de la production de pommes de terre de semence. Les deux armateurs Lavinia et GreenSea ont retiré du tonnage du marché en mai, ce qui a contracté l’offre et ramené un nouvel équilibre. Point positif : le marché devrait être plus rentable pour le reste de l’année.

Le contrat des tomates des îles Canaries d’une durée de cinq mois est l’indicateur traditionnel de la santé du secteur reefer. Il est finalement arrivé sous la forme d’un affrètement à temps pour deux navires de l’opérateur Lavinia : le Frios Nagato et le Mogami, pour un tarif semble-t-il identique, autour de 70 c/cbft. L’année dernière, trois navires plus grands avaient été mobilisés : deux de Seatrade et un de Star Reefers. Le retard dans l’établissement du contrat a conduit à penser que FEDEX s’était détourné des porte-conteneurs. Le fait que ce contrat soit resté dans le giron des reefers est une bonne nouvelle, pour Lavinia comme pour la communauté des reefers spécialisés au sens large, qui continuent de subir une guerre des prix agressive de la part des transporteurs.

Depuis une récolte record de 350 000 tonnes, la production de tomate des îles Canaries connaît une baisse constante depuis la moitié des années 1990. Le recul de 6 % du volume expédié par les Canaries vers le Royaume-Uni et le nord de l’Europe la saison dernière a été partiellement compensé par une augmentation des envois de concombre. La récolte totale de tomate destinée à l’export a chuté de 4 171 tonnes pour 2015-16 à 61 751 tonnes, selon les associations de producteurs FEDEX et ACETO. À titre de comparaison, les volumes de concombre sont passés de 22 800 t à 23 200 t. Ceci explique la raison pour laquelle, sur un volume total d’exportation similaire, seuls deux petits navires reefer ont été affrétés cette saison.

Sociétés

Dans le texte accompagnant ses résultats du 1er semestre 2016, Star Reefers (Siem Shipping) a informé qu’elle était en train de préparer une demande de sortie de la bourse d’Oslo, faisant suite à l’approbation de son assemblée générale annuelle tenue en mai.

Au cours de la période considérée, Star affichait un bénéfice net de 6.4 millions USD, contre 5.3 millions USD sur la période correspondante en 2015 ; un résultat réalisé en dépit d’une réduction du chiffre d’affaires : le chiffre d’affaires brut était de 94.9 millions USD (101 millions USD), et le revenu net après déduction des frais de voyage était de 78.1 millions USD (80.7 millions USD).

Dans de telles circonstances, le rendement financier obtenu par les armateurs/opérateurs reefers est pour le moins impressionnant. La tendance étant désormais profondément installée pour ce qui concerne les grands tonnages en commerce spot, la décision stratégique de Star de faire reposer son activité quasi exclusivement sur des contrats s’est révélée payante, et ceci dans un marché de plus en plus hostile. Cependant, cette stratégie n’est pas la seule à générer des résultats : la réussite de Star est la preuve qu’un niveau de spécification élevé et des reefers spécialisés économes en carburant peuvent apporter une valeur ajoutée et être compétitifs face aux transporteurs.

A contrario, le transport par conteneurs se trouve dans une configuration financière de plus en plus défavorable. Les coupes agressives dans les coûts, sous forme de nouvelles pressions exercées sur la manutention aux terminaux et la consolidation ou le développement d’alliances plus grandes, sont les seuls outils encore disponibles pour ce secteur à l’agonie, qui ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

Les lignes conteneurs subissent actuellement une « contraction sévère de leurs revenus », si l’on se rapporte aux chiffres d’affaires sur six mois communiqués par les transporteurs, inférieurs de 18 % en moyenne à ceux de 2015. Les ventes reculent plus vite que les réductions de coûts mises en œuvre. À moins d’une reprise significative des tarifs fret, les pertes du secteur atteindront « au moins 5 milliards USD » cette année, entraînant une nouvelle vague de fusions-acquisitions, a commenté le cabinet de conseil Drewry. Si la crise qui touche les transporteurs continue à ce rythme, le chiffre d’affaires de l’année plongera en dessous de son niveau le plus bas de 2009, année durant laquelle le secteur avait accusé des pertes d’exploitation de 19 milliards USD.

OOCL, Hapag-Lloyd et le numéro un du marché Maersk Line ont annoncé des pertes intermédiaires de 57 millions UDS, 158 millions UDS et 114 millions UDS respectivement. Plus inquiétant encore, ils ont tous laissé entendre que le retour à la rentabilité se ferait attendre encore longtemps. « Les tarifs fret ont dévissé au 2e trimestre 2016 à des niveaux records ; les pertes subies viennent de notre incapacité à réduire nos coûts au même rythme. Les résultats du second trimestre ne nous satisfont pas », a commenté Soren Skou, PDG de Maersk Group et Maersk Line. M. Skou pense que les tarifs des conteneurs ont atteint « le creux de la vague », comme le suggèrent les sursauts récents, pourtant ténus, de l’indice du marché spot. Il admet cependant que les tarifs « resteront sous pression » pendant un moment étant donné la faible demande et la surcapacité chronique.

Le groupe a maintenu ses pronostics de « résultats largement inférieurs à ceux de l’année dernière » et a ajouté qu’il réduirait ses dépenses d’investissement pour 2016, passant de 7 à approximativement 6 milliards USD. Il sera alors intéressant de voir si l’équipement reefer est sacrifié sur l’autel des réductions des coûts. Maersk Line doit injecter plus de 300 millions USD chaque année pour maintenir la taille de sa flotte reefer, qui est de loin la plus grande du monde. Les tarifs étant autant en difficulté sur le segment reefer que sur le segment du sec, il est de plus en plus compliqué pour le transporteur danois (pour tous les transporteurs !) de justifier une telle dépense.

Le pire est peut-être encore à venir : l’utilisation accrue des conteneurs est accusée de dégradation de l’environnement. La convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, est la première à donner l’alerte. Elle déclare que les « déversements biologiques » des conteneurs maritimes peuvent propager des espèces exotiques capables de semer un « chaos écologique et agricole » au-delà des frontières, ajoutant que si les déversements d’hydrocarbures intéressent l’opinion publique et suscitent son inquiétude, ces déversements pourtant plus dangereux à long terme passent, eux, plus inaperçus.

Dans un paragraphe intitulé « Le commerce comme un vecteur, les conteneurs comme un moyen », le rapport indique que les espèces envahissantes arrivent dans de nouveaux habitats par divers moyens mais que le transport maritime en est le principal. « Aujourd’hui, le transport maritime est synonyme de conteneurs maritimes : d’après les estimations du CIPV, chaque année, près de 527 millions de voyages sont réalisés à l’aide de conteneurs maritimes. À elle seule, la Chine gère plus de 133 millions de conteneurs maritimes chaque année. » Il ne s’agit pas seulement du chargement, mais des machines en acier elles-mêmes, qui peuvent servir de vecteurs pour la propagation d’espèces toxiques capables de semer la destruction.

L’analyse de 116 701 conteneurs maritimes vides arrivant en Nouvelle-Zélande ces cinq dernières années a montré qu’un sur dix était contaminé à l’extérieur, soit deux fois plus que le taux de contamination intérieur. Les ravageurs indésirables comme l’arpenteuse de l’orme, l’escargot géant africain, les fourmis d’Argentine ou encore la punaise marbrée menacent les cultures, les forêts et les milieux urbains. De plus, les résidus de sol peuvent contenir des graines de plantes envahissantes, des nématodes et des plantes pathogènes.

« Les rapports d’inspection en provenance des États-Unis, d’Australie, de Chine et de Nouvelle-Zélande indiquent que des milliers d’organismes d’une grande diversité se déplacent sans le vouloir avec les conteneurs maritimes », a déclaré le scientifique responsable de l’étude, Eckehard Brockerhoff de l’Institut de recherche forestière de Nouvelle-Zélande, qui s’exprimait lors d’une réunion de la Commission des mesures phytosanitaires (CPM) à la FAO, l’organe directeur de la CIPV.

Les dégâts vont bien au-delà des problèmes liés à l’agriculture et à la santé humaine. Les espèces envahissantes peuvent provoquer l’obstruction de voies navigables et la fermeture de centrales. Selon une étude, les invasions biologiques entraînent des dégâts estimés à près de 5 % de l’activité économique mondiale annuelle, soit l’équivalent d’environ dix années de catastrophes naturelles. « Si l‘on ajoute à cela les répercussions qui sont plus dures à mesurer, on peut doubler la mise », a précisé M. Brockerhoff. « Aujourd’hui, près de 90 % du commerce mondial se fait par voie maritime, avec une large panoplie de logistiques différentes, et en se basant sur une méthode d’inspection plutôt vague », concluait-il.

Sans avoir fait mention de la filière banane, ce n’est sûrement pas un hasard si la cercosporiose noire, maladie foliaire du bananier, a proliféré ces dix dernières années, depuis que la conteneurisation s’est invitée à la fête. Combien de temps faudra-t-il encore avant que le ballet des conteneurs ne soit pointé du doigt pour la dissémination de la maladie du Panama, la TR4 ? Il ne serait pas non plus surprenant de découvrir que la maladie Psa-V qui affecte les kiwis se soit propagée si rapidement sur différents continents pour la même raison.

Un second rapport souligne le coût environnemental généré par l’inefficacité du transport par conteneurs. Dans un article paru dans Hellenic Shipping News, Jesús García López, le PDG de l’entreprise espagnole Cadiz Connectainer Intermodal Solutions, affirme que la recherche de moyens d’utilisation plus efficaces des conteneurs maritimes vides dans le but de limiter leurs déplacements autour du monde pourrait fortement réduire les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre. M. García López estime que, sur l’ensemble des conteneurs déplacés chaque année, 21 % sont vides et que ce pourcentage est relativement stable. Autrement dit, plus il y a de conteneurs sur les mers, plus les conteneurs vides sont nombreux.

« Le problème, déclare M. López, est que si nous calculons les émissions d’un 40 pieds vide repositionné d’Algésiras en Espagne à Shanghai en Chine, le résultat sera d’environ 328 kg par conteneur pour un seul segment. » Il faut aussi ajouter 6 kg de CO2 par EVP de manutention au port.

M. López suggère de se concentrer sur la réduction des déplacements au lieu de chercher à optimiser les coûts. La gestion du repositionnement serait assouplie, entraînant un sérieux impact sur la diminution des gaz à effet de serre. « Si les grands acteurs du transport maritime réduisaient les déplacements à vide de 30 %, on éviterait 145.8 millions de kg de CO2 par an, » selon M. López qui cite les résultats de recherches de sa propre entreprise.

La prochaine fois que les transporteurs donneront des leçons de moralité sur les émissions de gaz à effet de serre, il serait bon de se pencher aussi sur l’impact environnemental des faibles coefficients de chargement, des excédents d’équipement et du désarmement, en plus des « déversements biologiques » révélés par la FAO.

Le progrès économique, sous quelque forme que ce soit, a un prix. Et ce prix ne devrait en aucun cas se faire au détriment de l’environnement, surtout si les dégâts, dans le cas présent, peuvent être gérés, atténués ou évités. Les coûts visant à réduire les dommages causés à l’environnement devraient au moins être supportés par les consommateurs

Cliquez sur "Continuer" pour poursuivre vos achats ou sur "Voir votre panier" pour terminer la commande.