Marché européen de la banane

  • Publié le 23/09/2016 - Elaboré par LOEILLET Denis
  • FruiTrop n°243 , Page 18 à 29
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L’alignement parfait

Lorsque volume et prix varient à la hausse dans un même mouvement, nous ne sommes plus loin d’un moment extatique. Mais plus dure sera la chute, car chute il y aura ! Certains l’annoncent à l’automne. Le pire n’étant jamais sûr, il faut savourer ce moment, en tirer les enseignements et réunir à l’avenir les facteurs qui ont fait le succès de ces dernières années.

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6 millions de tonnes ! La consommation européenne devrait atteindre cette barre symbolique en 2016. Il y a peu de risques du contraire puisqu’elle l’a quasiment atteinte au cours des douze derniers mois (2e semestre 2015 et 1er semestre 2016). Sur les six premiers mois de 2016, le marché a progressé de 4 % en volume. Cette belle dynamique dure depuis quelques temps maintenant. Sur les 42 derniers mois, la consommation annuelle (12 mois glissants) a reflué sept fois seulement. L’UE consomme de manière régulière de plus en plus de banane et cela depuis début 2013. A la fin de l’année et si la tendance se confirme, le plus grand marché mondial aura connu une période de croissance continue de quatre ans. A côté des trente glorieuses, ces quatre années peuvent apparaître comme une toute petite parenthèse enchantée. Mais dans le pas de temps bananier, on s’approche de l’éternité.

S’il y a eu du très bon côté volumes, n’y aurait-il pas eu du très mauvais côté prix ? Car, selon les plus classiques des économistes, l’un se fait toujours au détriment de l’autre. Fort heureusement, comme c’est souvent le cas dans le secteur de la banane, la réalité ne rejoint pas la théorie. Le fonctionnement du marché est pour le moins hétérodoxe. Plus les volumes consommés augmentent et plus les prix, à certains stades, augmentent ou, a minima, restent stables.

banane - UE - approvisionnement estime 12 mois glissants
banane - UE - approvisionnement estime 12 mois glissants
banane - UE - approvisionnement estime
banane - UE - approvisionnement estime

Des prix de détail plutôt orientés à la hausse

Étudions dans un premier temps les prix de détail. C’est l’inflation dans un grand nombre de pays européens. En Allemagne comme en France, les prix dans la distribution classique et chez les hard-discounteurs (Allemagne) ou même les prix promo (France) prennent entre 3 et 4 % (1er semestre 2016 versus 2015). Même tendance pour le platano canarien qui dépasse au détail les 2 euros du kilo (+ 3.4 %), alors que les volumes fournis par les producteurs espagnols sont à des niveaux records. En effet, il faut remonter douze ans en arrière pour trouver des mises en marché aussi élevées au 1er semestre (plus de 200 000 tonnes). A l’inverse, le prix de détail de la banane dollar recule d’un petit 1 %. En Italie, les prix de détail reculent aussi modestement (-1.2 %). En République tchèque, le repli est plus sensible qu’ailleurs, sans doute sous l’effet d’une très vive concurrence de la pomme et de l’orange, dont les prix ont été particulièrement compétitifs depuis l’automne 2015.

La situation au Royaume-Uni est infiniment plus complexe à décrypter. L’évolution récente (1er semestre) pourrait être la résultante de diverses forces : des considérations monétaires (baisse de la livre de près de 20 % face au dollar et à l’euro sous l’effet de la campagne et du votre pro-Brexit), un prix moyen import élevé en zone euro proche des records de 2015 ou encore de 2012 (cf. baromètre Cirad), ainsi qu’une volonté des différents distributeurs de faire baisser en continu, et depuis des années les prix, au consommateur. Alors que les deux premiers facteurs poussaient au renchérissement de la banane au Royaume-Uni libellée en livre sterling, c’est le dernier facteur, communément appelé « guerre des prix », qui a pesé sur la tendance, semble-t-il. Les prix de détail sont certes restés stables pour la banane en vrac, mais ont dramatiquement reculé de 11 % pour la catégorie pré-emballée.

taux de change livre de la sterling en euro et USD
taux de change livre de la sterling en euro et USD

Allemagne : quand contractualisation ne rime pas avec croissance

La situation est plus claire côté prix import. En effet, l’excellente situation de 2015 s’est confirmée au 1er semestre 2016. L’indicateur produit par le Cirad (baromètre) montre un prix import à 14.3 euros/carton en 2016, contre 14.4 euros/carton en 2015 toujours sur le 1er semestre. Au-delà du semestre, l’été 2016 (juillet et août) a été clément en termes de prix, même si la période s’est terminée plus difficilement. Il apparaît tout de même que l’été, saison à haut risque commercial pour la banane, n’est plus l’épouvantail qu’il a été. Depuis des années, les opérateurs ont taillé dans leur programme d’approvisionnement et les dernières grandes crises remontent à 2011 et 2012. Voilà pour l’image générale.

Dans le détail par marché, les situations révèlent d’intéressantes particularités. Passons en revue divers marchés européens et notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ces deux pays font l’objet d’une très forte contractualisation entre metteurs en marché et grande distribution. Cette tendance à vouloir fixer à l’avance (jusqu’à un an) un prix au stade rendu distributeur s’affirme partout en Europe. Aussi, étudier le comportement de ces systèmes contractualisés est primordial pour les décideurs. Et, on le verra, il est difficile de trancher entre le mode contractualisé et le mode spot. Prenons dans un premier temps le marché allemand pour lequel on peut mesurer depuis quelques années l’évolution relative entre les prix vert contractualisés et les prix dit « sur le marché libre ». Si l’on ne regarde que le 1er semestre 2016, on peut conclure sans équivoque que les opérateurs restés en dehors de la contractualisation avec la distribution ont pris la meilleure décision économique pour leur entreprise. En effet, ils auraient augmenté leur facture d’environ 1 euro du carton. Attention toutefois à ne pas en faire une règle immuable car le bonus n’était que de 11 centimes au 1er semestre 2015, mais tout de même de 43 centimes pour la même période de 2014. En 2013, la tendance était contraire puisque les contrats rapportaient 75 centimes d’euro de plus au carton que le spot. Ainsi, si l’on excluait 2013 de l’analyse, on pourrait facilement conclure aux bienfaits du marché libre.

banane - allemagne - ecart entre prix import sur marche libre et prix sous contrat
banane - allemagne - ecart entre prix import sur marche libre et prix sous contrat

Mais cela n’est exact que dans le cas du 1er semestre. Car une analyse identique sur le 2e semestre inverse totalement les conclusions. Sur les trois dernières années (2013 à 2015), le manque à gagner est en effet majeur. Le spot est de 0.5 à 2.8 euros/carton en deçà du contrat. La moyenne annuelle confirme l’efficacité du contrat qui rémunère a minima à l’identique du spot (2014) et jusqu’à 9 % de plus comme en 2015. Aussi, conclure sur les résultats exceptionnels du 1er semestre 2016 conduirait à oublier la dynamique annuelle du marché bananier européen. D’autant que les conditions de marché en 2016 ont créé une conjoncture particulièrement favorable, certains disent même historiquement favorable au secteur bananier. En bref, l’offre dollar a été mesurée, la demande très active et la concurrence des fruits de saison contenue. Rappelons que pour la France, par exemple, les prix de détail des fruits ont augmenté de 70 % entre 2015 et 2016 !

Terminons l’analyse du marché allemand par l’étude du niveau de consommation afin de vérifier s’il existe un lien positif entre marché contractualisé et développement des volumes. Force est de constater que, s’il y a une relation de cause à effet, elle joue négativement sur la consommation. Si les importations européennes au 1er semestre 2016 se sont accrues de 5 %, la consommation allemande a reflué de 5 % par rapport à la même période de 2015. Bien évidemment, il est un peu facile de chercher un lien univoque entre contrats et consommation tant les influences que subissent les marchés sont nombreuses et variées. De plus, l’Allemagne est déjà un pays gros consommateur de banane par habitant. Pourtant, pour expliquer ce phénomène plutôt inquiétant, on peut tout de même avancer l’hypothèse qu’à trop vouloir structurer son marché (difficile pour les bananes ACP, appel d’offre qui ne profite qu’aux opérateurs de grande taille, contrat long terme, etc.), l’Allemagne éteint toute dynamique potentielle. On s’installe dans une routine qui décourage les prises de risques, notamment en termes de volume, pour défendre un prix et des parts de marché au bénéfice des acteurs déjà en place. Malheureusement, ce modèle fait des émules notamment en République tchèque, alors que ce pays montre une très bonne dynamique de consommation (+ 30 % en trois ans).

Le marché français, pour d’autres raisons, semble aussi s’essouffler en termes de volumes consommés, qui stagnent autour de 290 000 tonnes au 1er semestre et cela depuis trois ans. Mais d’un autre côté, il n’est plus le vilain petit canard européen qui exportait ses déséquilibres vers les autres Etats membres. En effet, ses principaux opérateurs ont pris conscience qu’il fallait arrêter de détruire de la valeur, sans compter le travail de fond de marketing réalisé notamment par ses propres producteurs. Bien sûr, des conditions particulières de marché (déficit de l’offre, concurrence des fruits de saison, effet protecteur de la baisse de l’euro face au dollar US, etc.) ont participé au retour à la raison. On peut toutefois souligner à nouveau que cela s’est fait pour une grande part en sacrifiant la dynamique de croissance des volumes. On voit parfaitement bien qu’il est toujours difficile de concilier protection de la valeur ajoutée et augmentation des volumes. C’est d’ailleurs le défi auquel fait face la nouvelle association interprofessionnelle de la Banane (AIB) en France.

L’Italie est sans doute un parfait contre-exemple du modèle allemand. L’augmentation de la concurrence entre opérateurs (effet de la fin d’un contrat d’association entre deux grands acteurs) s’est faite par une augmentation des volumes disponibles, sans que les prix vert ou les prix de détail n’aient été sacrifiés. La preuve, la consommation au 1er semestre est en forte hausse de 9 % entre 2013 et 2016.

banane pre-emballee - UK - prix detail mensuel
banane pre-emballee - UK - prix detail mensuel
banane - france - approvisionnement net janvier-juin
banane - france - approvisionnement net janvier-juin

Contractualisation au Royaume-Uni : des effets différents

Il serait trop facile de considérer que la forte structuration d’un marché empêche toute progression des volumes consommés. Elle peut aussi avoir des effets différents. Ainsi, le Royaume-Uni, qui est hautement et depuis très longtemps contractualisé, est un marché où les volumes progressent. L’analyse sur le 1er semestre montre qu’entre 2013 et 2016 les volumes consommés ont grimpé de 3 %, de même qu’entre 2015 et 2016 (année atypique). Mais attention aux conclusions hâtives car nous sommes loin du « toutes choses égales par ailleurs » des économistes. Ce qui distingue le Royaume-Uni de l’Allemagne, c’est le comportement très différent de sa grande distribution. Sur la période qui nous intéresse, le 1er semestre 2016, les prix de détail de la banane emballée se sont effondrés de 11 % au Royaume-Uni, alors qu’ils ont augmenté de 3 à 4 % en Allemagne. Dans le jargon économique, l’élasticité semble grande au pays du Brexit.

Au-delà de l’analyse en volume, on a tout de même le sentiment que le marché britannique est dans une impasse en termes de valorisation. Les ONG Oxfam ou Bananalink n’ont d’ailleurs pas attendu 2016 pour dénoncer l’opération de massacre de la valeur par la grande distribution et ses répercussions sur l’amont de la filière. Car l’anticipation puis la confirmation du vote en faveur du Brexit ont fait largement plongé la livre sterling tant vis-à-vis de l’euro que du dollar US. La dépréciation est de l’ordre de 20 %. Par ailleurs, le prix vert européen s’est maintenu à des niveaux très corrects.

banane - UE - import - ecart entre 1er semestre 2016 et 1er semestre 2015
banane - UE - import - ecart entre 1er semestre 2016 et 1er semestre 2015

C’est donc la double peine pour les fournisseurs des distributeurs britanniques. Payés en livre par les distributeurs (la monnaie libellée dans les contrats), les importateurs-mûrisseurs achètent en euro ou en dollar US auprès des producteurs. Il y a donc trois manières pour un opérateur intermédiaire d’absorber ce choc. Il peut soit augmenter ses prix de vente si le contrat le permet (clause de révision), soit dégrader ses comptes, soit faire porter la charge sur l’amont (les producteurs). En avril 2016, Fyffes, un des grands opérateurs concernés, indiquait vouloir faire passer une augmentation de prix auprès des distributeurs, quitte à eux de répercuter la hausse sur le prix de détail. Au regard des chiffres, il semble évident que cela n’a pas été le cas puisque les prix du pré-emballé ont fondu. Fyffes n’ayant pas annoncé une dégradation de ses comptes de résultat, tout porte à croire que, comme dans quasiment toutes les chaînes de valeur, notamment celles qui sont commoditisées, la facture sera finalement payée par les membres les plus fragiles de la filière : les producteurs.

L’Afrique : l’arbre qui cache la forêt

Après un premier semestre idyllique et un été épargné par les crises souvent ravageuses du passé, quelles sont les perspectives du marché bananier à court terme ? La fin août marque sans conteste un changement de profil de campagne. La demande semble plus lente (canicule, compétition plus forte des fruits de saison, etc.) et l’offre s’étoffe. La Colombie est de retour. L’Équateur, qui semble légèrement en retrait en cette fin d’été, conserve un très fort potentiel. Le Costa Rica revient en force. Le Guatemala bat record sur record. L’automne et l’hiver s’annoncent difficiles.

A cela, il faut ajouter les conjectures sur le niveau de l’offre africaine. On sait que la bananeraie export s’étend en Côte d’Ivoire et qu’il y a des projets (extension ou relance) en gestation ou en cours de développement au Cameroun ou encore au Ghana. On sait aussi que, dans les mois et les années à venir, les volumes potentiellement disponibles en Afrique seront en quasi-totalité destinés au seul marché européen. Bien que les marchés régionaux aient vocation à prendre de plus en plus de place, leur montée en puissance sera lente, très lente.

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue l’importance relative des forces en présence : si on compte en milliers d’hectares en Afrique, on compte en centaines de milliers en Équateur. Le Guatemala exporte chaque semaine 1.8 million de cartons, soit plus que la Colombie, alors qu’il n’en faisait qu’à peine 1 million en 2013. Alors oui, l’équilibre de marché dans les prochains mois et les prochaines années passera par la faculté de l’Afrique à gérer au mieux sa croissance. Mais le potentiel se développe aussi ailleurs, souvent plus rapidement et avec davantage d’amplitude.

Mais le pire n’est jamais certain

Si l’offre est dynamique, la demande l’est aussi, comme on a pu le constater dans certains pays de l’UE. Il s’agit d’ailleurs d’un des principaux facteurs permettant au prix vert de se stabiliser à des niveaux corrects. Car, sans demande forte, nous aurions fini par consommer toute l’offre produite, mais pour cela les prix se seraient ajustés à la baisse. Ici, l’extraordinaire tient au fait que les deux indicateurs (prix et volume) se sont ajustés en même temps à la hausse. Un miracle qui n’a pas eu lieu partout. Aux États-Unis, même si les prix sont restés bien orientés — de ce que l’on peut en savoir — les volumes consommés n’ont pas progressé (+ 1.2 % au 1er semestre 2016), en tout cas à peine plus que le taux de croissance de la population (+ 0.8 %). Ce qui a été le cas au cours des trois dernières années. Faut-il y voir encore un exemple d’un marché sclérosé car contractualisé ?

Pour ce qui est des facteurs externes, on redoutera très classiquement la campagne des pommes et poires européennes, qui s’ouvre en septembre et s’annonce record quasiment partout en Europe (cf. article Pommes et poires européennes en 2016 dans ce FruiTrop), et la fin de campagne des fruits de saison, qui devrait être plus faible qu’à l’accoutumée. Hors marché fruitier, on s’intéressera à la levée ou pas de l’embargo russe sur les fruits européens, mais aussi à l’évolution des taux de change avec une possible montée du dollar US si la FED met à exécution son plan de resserrement monétaire via l’augmentation des taux directeurs américains. Les aléas climatiques pourront une nouvelle fois changer la donne, avec une activité cyclonique qui devrait être très dense mais un phénomène La Niña qui aurait de très faibles effets sur les zones bananières. Côté réglementaire, on attend toujours l’entrée en vigueur de la baisse du droit de douane pour les fruits équatoriens. Dès le 1er janvier 2017, le droit de douane pour les principaux fournisseurs latino-américains (dont peut-être l’Équateur) tombera en deçà de 100 euros/tonne à 96 euros (ou 97 euros pour l’Équateur).

banane - UE - droits de douane pour pays tiers hors ACP
banane - UE - droits de douane pour pays tiers hors ACP

Dans ce contexte très mouvant, difficile de trouver le bon chemin. Si l’on en croit les opérateurs interrogés à ce sujet, ils ont tous conscience que nous venons de vivre une période exceptionnelle où les planètes étaient parfaitement alignées et qu’il va falloir se désintoxiquer très vite des prix facturés sur le 1er semestre 2016 et des volumes consommés toujours à la hausse en Europe. Ce qui n’est jamais, et pour personne, un exercice facile.

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