Les petits fruits exotiques

  • Publié le 27/01/2017 - Elaboré par Cirad
  • FruiTrop n°246 , Page 38 à 47
  • Gratuit

Vers une démocratisation de l’offre ?

L’exotisme gagne du terrain sur nos étalages. Ainsi, avec des importations qui ont plus que doublé en 15 ans (400 000 tonnes en 2015 contre 150 000 tonnes en 2000) et une présence accrue dans tous les points de distribution, notamment en GMS classique, les petits fruits exotiques intègrent peu à peu nos modes de consommation et semblent atteindre toutes les couches de la population.

Ouvrir/Fermer Boutique

Le terme « exotique » évoque classiquement la banane ou l’ananas, dont les volumes massifs importés par l’Union européenne ont été supérieurs à 5 millions de tonnes en 2015 pour la banane, loin devant les 800 000 tonnes de l’ananas, et dont le prix de gros est relativement peu élevé (inférieur à 1 euro/kg). Mais ce terme évoque aussi l’avocat et la mangue, importés en moindres quantités (entre 300 000 et 350 000 t en 2015) et dont le prix au stade grossiste est plus élevé (2 à 3 euros/kg). Cependant, beaucoup d’autres fruits exotiques sont importés dans l’UE, mais en volumes nettement plus réduits (moins de 150 000 t par fruit en 2015). Ce sont les petits fruits exotiques. Parmi eux, la papaye, la goyave, le fruit de la passion, le litchi, le mangoustan, la lime, la noix de coco, le durian ou encore l’ananas Pain de sucre, et bien d’autres encore, peuvent être dénombrés.

La restauration hors domicile (restaurants de cuisines étrangères, bars, pâtissiers, glaciers), les voyages, les médias (émissions culinaires, presse écrite) ou encore le secteur de la transformation (jus) sont autant de signes et de moyens d’intégration de ces fruits. Mais cette diffusion de plus en plus large est-elle réellement synonyme d’une démocratisation de l’offre, pour certains fruits du moins ? Ou n’est-elle pas plutôt l’illustration d’une accentuation de la segmentation ? Sous couvert d’une volonté de développer le marché, la GMS ne chercherait-elle pas, tout compte fait, à s’assurer une certaine image au travers d’une large gamme de petits fruits exotiques, alors que l’offre reste limitée et spécifique chez la plupart des spécialistes ?

En effet, bien que l’offre s’élargisse en GMS classique, et soit pratiquement aussi diversifiée que dans les commerces ethniques, des différences persistent en termes de produits, de qualité et de prix.

Une offre restreinte chez les primeurs

Contre toute attente, ce ne sont pas les spécialistes en fruits – les primeurs – qui proposent le plus de petits fruits exotiques. Leur offre est en effet restreinte et haut de gamme, les clients étant essentiellement à la recherche de produits locaux et/ou de grande qualité. Selon notre étude, l’offre se limite en général à l’ananas Pain de sucre (présent à 100 %), à la lime (67 %) et à quelques autres fruits (papaye, fruit de la passion jaune, banane frécinette dans 33 % des cas). Ces fruits sont chers et arrivent par avion pour préserver leur fraîcheur.

Une offre diversifiée, mais très spécifique dans les commerces ethniques 

Les commerces ethniques (indiens, afro-antillais, de Chine et d’Asie du Sud-Est) sont, quant à eux, en deuxième position pour le taux de présence de petits fruits exotiques. Bien que ces commerces recouvrent une grande diversité de produits, leur offre est très finalisée et réservée à des consommateurs initiés. Elle n’est cependant pas uniforme. En effet, les produits vendus ne sont pas les mêmes dans les boutiques chinoises et d’Asie du Sud-Est, que dans les commerces indiens ou afro-antillais.

Ainsi, les premiers sont ceux qui proposent la plus large gamme. En plus des fruits exotiques classiques, certains de leurs fruits sont spécialement dédiés aux consommateurs d’origine chinoise et d’Asie du Sud-Est : durian, jacquier, corossol, anone pomme-cannelle, anone cherimoya, longan, tamarin, mangoustan, ramboutan, fruit du dragon, etc. D’autres élargissent la gamme des exotiques en la segmentant : fruit de la passion pourpre et banane plantain pour les Africains, avocat pour les Japonais, longan pour les personnes ayant séjourné en Thaïlande, etc.). De plus, un grand soin est apporté aux fruits dans ces magasins : ils sont souvent conditionnés sous vide et l’indication de l’origine est inscrite bien visiblement.

Les commerces indiens et afro-antillais ont beaucoup moins de fruits sur leurs étalages. La lime et la banane verte sont systématiquement présentes. Mais ce sont les différentes variétés de mangue qui occupent la plus grande place parmi les fruits. Le fruit à pain est, lui, vendu dans les deux types de commerce, mais moins fréquemment. Pour ce qui est des spécificités, les commerces indiens vendent quelques avocats tropicaux, des bananes mûres et un peu de noix de coco. De leur côté, les commerces tenus par des populations afro-antillaises proposent plutôt de la banane plantain, du fruit de la passion jaune, de la chayotte et de la noix de coco. A noter que les produits sont davantage en vrac et les origines ne sont pas toujours mentionnées (notamment dans les magasins indiens).

Dans les commerces ethniques, l’offre semble donc essentiellement destinée à des clients initiés, qui consomment couramment ces fruits. Seuls les commerces chinois et d’Asie du Sud-Est segmentent leur gamme à destination d’autres clients et proposent des produits attractifs visuellement. Ils font donc partie des points de distribution pouvant encourager une démocratisation de certains fruits, d’autant plus qu’ils sont présents aussi bien dans les centres-villes que dans les zones commerciales des agglomérations.

Élargissement de la gamme en GMS : démocratisation de l’offre ou stratégie commerciale ?

La GMS classique (Carrefour, Auchan, Leclerc, etc.) vient côtoyer les commerces ethniques en termes de diversification de l’offre, même en dehors des périodes de fêtes (Noël, jour de l’an, Pâques, etc.). Ainsi, la banane, l’ananas, l’avocat et la mangue ont un taux de présence de 100 %. La lime affiche également un fort taux de présence, tout comme la grenade (88 %), le fruit de la passion pourpre et la noix de coco (81 %). Alors que les premiers sont intégrés dans les rayons des fruits tempérés, les seconds font partie d’un rayon à part, spécifiquement dédié aux petits fruits exotiques. Ils représentent les incontournables de la gamme exotique en GMS classique. Le physalis (50 %), l’ananas Victoria, la banane frécinette, la banane plantain et le kumquat (44 %), la chayotte et la papaye (38 %), la carambole (31 %), le fruit du dragon et le mangoustan (19 %) et la goyave (13 %) viennent régulièrement élargir le rayon. Plus occasionnellement, ces supermarchés proposent également de l’avocat tropical, de la banane rose, du combava, de la figue de barbarie, de la pitahaya jaune, du ramboutan, du tamarillo et du tamarin.

Cet élargissement de la gamme dans les lieux d’achats les plus fréquentés des consommateurs pourrait être assimilé à une démocratisation de ces fruits sur le marché européen. Certes, les petits fruits exotiques tendent à être de plus en plus présents en GMS classique et un espace leur est même spécifiquement dédié en période de fête. Cependant, ils sont souvent peu soignés (trop mûrs, abîmés), peu sujets à des actions de promotion (sauf pendant les fêtes) et surtout beaucoup plus chers que dans les autres points de distribution. En somme, rien n’est fait pour inciter le consommateur à l’achat. Ces éléments posent question quant aux réelles intentions de la GMS. Souhaite-t-elle réellement toucher un maximum de consommateurs ? Ne serait-ce pas plutôt une simple stratégie commerciale, confinant les petits fruits exotiques à un statut de produits d’image qui permettent, de plus, de générer des marges ? Si tel est le cas, ce n’est pas par ce mode de distribution que les petits fruits exotiques se démocratiseront.

Seuls certains fruits également présents dans les supermarchés discounts (ananas Victoria, lime, noix de coco) et bio (lime, noix de coco) peuvent prétendre à une certaine démocratisation.

Grand Frais : une alternative économique plus qualitative

A contrario, Grand Frais – qui reste une grande surface, bien que spécialisée en produits frais – affiche une offre non seulement plus diversifiée, mais aussi moins chère et de meilleure qualité qu’en GMS classique. Le taux de présence des petits fruits exotiques y est en effet supérieur à celui de tous les autres points de distribution, alors que les prix sont parmi les plus bas du marché. Grand Frais s’impose donc comme une alternative économique et peut ainsi espérer atteindre un plus grand nombre de clients.

Aux fruits proposés en GMS classique s’ajoutent ceux vendus dans les commerces ethniques. Cependant, certains fruits quasi absents de ces points de distribution, sont présents chez Grand Frais. Il s’agit souvent de produits originaires d’Amérique centrale et du Sud (grenadille des montagnes, physalis, tamarillo), peu consommés par les populations visées dans les commerces ethniques et rares en GMS classique. Côté qualité, les origines avion sont privilégiées, contrairement à la GMS classique. De plus, une communication est effectuée à l’intention des consommateurs, par le biais de dépliants informatifs proposés à proximité du rayon. Enfin, les magasins Grand Frais sont facilement accessibles à tous les consommateurs de par leur implantation dans les zones commerciales des agglomérations et cela sur une grande partie du territoire français.

Tous les éléments semblent donc réunis pour permettre une démocratisation de certains petits fruits exotiques par ce point de distribution : produits de qualité à des prix compétitifs et communication. Partant de là, un fruit semble tout indiqué pour illustrer la segmentation de l’offre en petits fruits exotiques : le fruit de la passion. Grâce à une multitude de variétés et d’origines, il est présent partout et s’affiche tantôt comme un produit d’image, tantôt comme un produit ethnique, haut de gamme, etc.

Le fruit de la passion, une offre segmentée en distribution

Classé parmi les « petits fruits exotiques », le fruit de la passion n’en reste pas moins bien présent dans les points de distribution. Ainsi, la quasi-totalité des supermarchés, de nombreux commerces ethniques, primeurs et magasins discount le proposent à la vente. Mais derrière cette appellation se cachent bien des variétés, des différences en termes de qualité, de prix et d’objectifs.

Fruit de la passion pourpre et hybrides

La moitié des supermarchés proposent des fruits de la passion pourpres en provenance de Colombie, et parfois d’Afrique du Sud et du Vietnam. Les fruits colombiens sont les seuls à arriver par bateau, ce qui en fait une offre bon marché mais très standard en termes de qualité (point de coupe bas pour supporter le transport, durée de vie limitée, etc.). Les autres fruits de la passion sont surtout des hybrides, plus gros et moins acides que le pourpre classique. Ils sont principalement vendus chez les primeurs et chez Grand Frais. Parmi les magasins ethniques, les commerces chinois et d’Asie du Sud-Est sont pratiquement les seuls à en proposer, davantage pour élargir leur gamme exotique en fournissant une clientèle ciblée africaine (tout comme pour la banane plantain), plutôt que pour des consommateurs asiatiques.

Côté prix, le fruit de la passion pourpre de Colombie est, bien entendu, moins cher au stade grossiste par rapport aux autres fruits pourpres et hybrides (du simple au double entre la Colombie et la Réunion). C’est pour cette raison qu’on le retrouve en GMS classique. Cependant, cette différence est beaucoup plus mince, voire inexistante au stade détail. La GMS propose donc un produit standard, qui lui permet de générer des marges, sans pour autant être dans une logique de développement du marché, la qualité n’étant pas optimale pour satisfaire pleinement les consommateurs. Enfin, les fruits que l’on retrouve chez les primeurs et dans les commerces ethniques sont chers, mais souvent de meilleure qualité.

Quel avenir pour le fruit de la passion pourpre ? Les avis sont partagés. Selon certains, sa consommation est exponentielle et pourrait davantage se développer dans les années à venir, à condition que les ventes se concentrent sur les fruits arrivant par avion, notamment ceux en provenance de la Réunion, les plus appréciés pour leur côté gustatif. Selon d’autres, le fruit de la passion, qu’il soit pourpre ou hybride, est un produit cher, peu attractif visuellement et peu nourrissant (comparé à un ananas qui se partage facilement) et devrait donc rester un produit de niche.

Fruit de la passion jaune et grenadille des montagnes

Deux autres variétés de fruit de la passion sont également importées, mais en bien moindres quantités : le fruit de la passion jaune et la grenadille des montagnes. Le premier, plus acide que le fruit de la passion pourpre, est davantage destiné à la restauration et à la transformation (aux glaciers notamment qui recherchent une certaine acidité pour leurs clients, mais aussi en jus), alors que le second doit ses faibles volumes à sa fragilité et à sa zone de production limitée (ando-américaine). Ils sont tous deux fortement consommés localement, mais sont rares en Europe, ce qui les rend plus chers. Le fruit jaune est absent des grandes surfaces. On le retrouve chez Grand Frais et dans quelques commerces ethniques (plutôt afro-antillais). La grenadille est, quant à elle, présente dans quelques grandes surfaces, également chez Grand Frais et plus rarement dans les commerces ethniques.

Ces deux fruits de la passion sont donc, pour l’instant, essentiellement destinés à des consommateurs spécifiques et initiés, mais pourraient gagner en popularité du fait de leur présence chez Grand Frais.

Léa Benoit

 

Étude réalisée sur la base d’enquêtes dans des points de distribution. Les enquêtes dans 42  points de distribution (16 GMS classiques, 11 magasins ethniques, 5 GMS discount, 5 supermarchés bio, 3 primeurs, 2 Grand Frais) sur Montpellier, Paris et Bordeaux, ont été effectuées entre mai et juin 2016. La première étape, réalisée à Montpellier, a permis d’identifier quels points de distribution proposaient tel ou tel fruit et les provenances. La seconde, effectuée à Paris, a servi à étayer l’enquête, notamment par des relevés dans des magasins ethniques (issus des diasporas asiatiques, africaines, etc.) situés dans les 13e et 18e arrondissements. La troisième, de nouveau à Montpellier, a cette fois permis de comparer les prix de détail entre trois types de distributeurs (GMS, Grand Frais et ethnique). Enfin, la dernière étape de l’enquête, à Bordeaux, a eu pour but de fournir des données dans une autre agglomération métropolitaine que Montpellier.

Cliquez sur "Continuer" pour poursuivre vos achats ou sur "Voir votre panier" pour terminer la commande.