Marché mondial de la banane

  • Publié le 7/05/2015 - Elaboré par LOEILLET Denis
  • FruiTrop n°231 , Page 40 à 67
  • Gratuit

De l’influence des parités monétaires

A force de l’appeler de ses vœux, le phénomène est là et bien là. Sans surprise, il occupe les discussions de comptoirs de bar et de banque. Il y a les convaincus qui pensent que cela va changer les choses, il y a les sceptiques qui ne voient là qu’un passage éphémère, il y a les prudents qui analysent et échafaudent des plans… L’événement ne laisse personne indifférent. Tout le monde aura reconnu le sujet de toutes les conversations : la baisse drastique et continue de la parité euro/dollar.

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Rappelons tout d’abord les faits. L’euro a dévissé face au dollar américain du quart de sa valeur entre mai 2014 (au plus haut à 1.3923 le 8 mai) et mars 2015 (au plus bas à 1.0493 le 16 mars). C’est évidemment une onde de choc immense dans un secteur bananier (18 millions de tonnes) tourné tout entier vers le marché international. Pour un pays comme l’Équateur, premier fournisseur mondial de banane, dont l’économie est dollarisée depuis 2000, l’impact est franc et massif. Potentiellement, le revenu tiré de ses ventes sur les marchés qui facturent en euro a été dévalorisé proportionnellement à la baisse de la monnaie européenne face au dollar. Pour un euro vendu, un opérateur ne reçoit plus que 1.08 USD aujourd’hui (mi-avril), contre près de 1.40 USD un an auparavant. A l’inverse, ce qu’il facture en dollar, par exemple lorsqu’il vend aux États-Unis, lui permet d’augmenter mécaniquement son pouvoir d’achat en biens facturés en euros. Ça c’est la théorie. Passons maintenant à la pratique, car les règlements sur le marché international ne sont pas aussi simples que cela.

Petite leçon de complexité…

On le voit bien avec l’exemple équatorien, parler du taux de change n’est jamais aisé. Et encore, avec l’Équateur, on peut considérer que c’est relativement simple, tout au moins en surface. On l’a dit, son économie est dollarisée. L’analyse devient beaucoup plus complexe si l’on prend en compte la situation des autres fournisseurs mondiaux, qu’ils soient dans le giron économique du dollar (Colombie, Costa Rica, Panama, Guatemala, etc.) ou de l’euro (Cameroun, Côte d’Ivoire, etc.). Ici, on ajoute un élément à l’équation, déjà passablement difficile à comprendre : il s’agit de la monnaie nationale du pays exportateur et, bien entendu, de sa variation relative face à l’euro et au dollar US. Car il faut se garder de faire des raccourcis dans ce genre d’affaire. La preuve en est que si la baisse de l’euro n’est pas du goût du Costa Rica (ou de l’Équateur), c’est une aubaine pour la Colombie ou encore de manière plus flagrante pour le Ghana. Pour ces pays, le revenu tiré de la vente de leurs bananes en zone euro augmente mécaniquement à la faveur de la baisse de l’euro.

Déjà passablement confuse, la situation s’opacifie encore si l’on va dans le détail, là où se cache le diable. Car la démonstration précédente ne vaut que si la structure de coût de la filière étudiée est à 100 % dépendante de la monnaie locale (le peso pour la Colombie) et si les opérateurs colombiens facturent en euro toute leur marchandise vendue en Europe.

A lire ces deux conditions quasiment jamais remplies, on comprend mieux que ce type d’approximation fausse la lecture des effets de la variation des taux de change. Car, pour être simpliste, un carton de banane ne représente, au final, que quelques kilogrammes de carbohydrates et quelques centaines de grammes de carton et de plastique produits à partir de pétrole. Produire et transporter d’un bout à l’autre de la planète un kilo de banane n’est rien d’autre que de transporter quelques litres de pétrole et d’eau transformés. Ce qu’on veut dire par là, c’est que dans la structure du coût d’un kilo de banane de Colombie ou du Ghana, une très faible proportion dépend du peso ou du cedi et une bien plus grande dépend du dollar américain. Idem pour la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, même si ces deux économies sont sous l’influence de l’euro via l’utilisation du franc CFA. Car la plupart de leurs coûts sont en fait dollarisés et, en premier lieu, l’énergie, le transport, les amendements ou les fournitures en tout genre.

Nous sommes ici au cœur même de la globalisation ou de la mondialisation dont la banane est un des plus efficaces témoins. Ce qu’on peut dire c’est qu’a minima, les coûts salariaux et sociaux des employés de la filière dans le pays (ouvriers agricoles, transporteurs routiers, dockers, etc.) sont des charges libellées en monnaie nationale. Encore que ce n’est pas le cas de tous les salaires. Une bonne partie de l’encadrement de haut niveau est payé le plus souvent en dollar ou en euro. Le statut des intrants agricoles ou des fournitures (carton, plastique par exemple) est variable selon les pays et leur niveau de développement. On peut imaginer, par exemple, qu’une économie prospère et très diversifiée, comme celle de la Colombie, crée plus de valeur ajoutée localement qu’une économie qui importe une grande partie de ses consommations intermédiaires. Mais l’externalisation de certains coûts en dehors du territoire national en pratiquant l’optimisation fiscale permet de ne pas être imposé dans le pays d’origine, pratique que le grand public découvre mais qui est la norme mondiale dans de nombreux secteurs et cela depuis des décennies.

Attention à la réversibilité des phénomènes

Difficile donc d’avoir une vision limpide des gains ou des pertes de compétitivité liés à la brusque variation des taux de change. La représentation graphique ci-dessous tente d’éclairer le débat. Elle illustre la variation du taux de change du dollar américain en monnaie nationale entre février 2014 et février 2015 pour les principaux fournisseurs des marchés US et UE. La taille des cercles est fonction de la part de marché à l’importation de chacune des origines en 2014 (hors production communautaire). Nous travaillons sous la condition de « toutes choses égales par ailleurs », en considérant que le prix de vente et le coût de production sont stables entre ces deux dates. Ce qui n’est évidemment pas le cas, mais cette condition permet d’isoler à des fins d’analyse l’effet de certaines variables, tout en fixant les autres. Ici c’est donc la parité monétaire qui est isolée des autres variations. Enfin, pour des raisons de simplification et pour l’UE uniquement, seul l’euro sera pris en compte dans nos analyses, ce qui est réducteur car d’autres monnaies, notamment la livre sterling, ont des comportements différents face au dollar.

Pour les États-Unis, on voit clairement apparaître l’origine Colombie comme grande gagnante de l’évolution des parités monétaires. A périmètre constant en volume, son revenu a augmenté de 17 % en un an. A l’autre bout de l’échiquier, le Guatemala (36 % de parts de marché) a vu ses revenus fondre de 2 %. Sa monnaie, le quetzal, s’est appréciée face au dollar US. En dehors du Guatemala qui perd et de l’Équateur qui stabilise son revenu du fait de la dollarisation de son économie, toutes les autres origines bénéficient de la dépréciation de leur monnaie face au dollar.

La situation est exactement l’inverse pour les fournisseurs de la zone euro. Si l’on considère que la marchandise débarquée dans l’UE-28 est facturée à 100 % en euro (hypothèse pour le moins grossière comme explicité précédemment), la quasi-totalité des origines voient leur revenu en monnaie nationale baisser, parfois même dans des proportions sévères. Les plus touchées sont l’Équateur, le Guatemala, le Panama, Belize et le Surinam qui perdent 13 à 18 % de compétitivité du fait du taux de change. La République dominicaine ou le Costa Rica ne sont pas beaucoup mieux lotis, avec une perte potentielle de 13 et 12 % respectivement. Les origines d’Afrique de l’Ouest (Cameroun et Côte d’Ivoire), dont la monnaie nationale est le franc CFA à parité avec l’euro, ne constatent évidemment pas de variation de revenu. Par contre, le Ghana engrange 15 % de plus en monnaie locale, le nouveau cedi. Encore une fois, ces gains et ces pertes sont potentiels et dépendent très fortement de la teneur en dollar de leurs exportations et de la monnaie dans laquelle sont libellés les contrats de vente.

Il n’en reste pas moins que cette analyse fait la démonstration des effets puissants de l’évolution des taux de change sur la compétitivité relative des origines entre elles, sachant que ces évolutions peuvent être soudaines, en quelques mois seulement. De ce fait, il ne faut pas oublier que le phénomène est réversible. Et enfin, pour être sérieuse, l’analyse doit aller dans le détail des structures de coûts et se faire au cas par cas. Bref, nous sommes bien loin d’une loi qui voudrait que, lorsque l’euro faiblit, l’ensemble des origines voient leur coût augmenter en proportion.

Prix en hausse : l’arbre qui cache la forêt

Cette période de grande variation de la parité euro/dollar a une conséquence forte sur le niveau de prix du marché, notamment en Europe. Depuis le début de l’année, le prix augmente de manière soutenue, avec même une accélération en ce début avril. Le baromètre CIRAD, qui évalue le prix de la banane au stade vert dans l’UE-28, a dépassé la barre des 16 euros/carton en semaine 13. Il faut remonter en 2012 pour voir les cours évoluer à de tels niveaux à cette époque de l’année. L’autre acte très fort qui marque les esprits est la remontée des fameux contrats Aldi, un des plus importants distributeurs discounteurs allemands. Ces contrats donnent le tempo au marché de la banane verte en Europe. Après des semaines de conjectures, ils augmenteraient a minima de 1.5 euro par carton, hissant ainsi le prix de contrat entre 15.25 et 15.75 euros/carton, soit une hausse moyenne de 13 %. Mais, et c’est sans doute le plus marquant dans l’affaire, c’est Aldi qui aurait fixé ces prix jusqu’en fin d’année 2015 au lieu des 3 à 4 mois habituels ! Du jamais vu depuis que le discounteur allemand sert de référence au marché. Le signal est fort et clair : un grand distributeur s’engage 9 mois à l’avance et, qui plus est, sur un prix en très forte hausse. La surprise passée, revenons aux fondamentaux et vérifions que l’augmentation, même substantielle, couvre bien a minima le renchérissement du coût lié à l’effondrement de l’euro sur le marché des changes. Eh bien, après la divine surprise, c’est la grande dépression ! Car la conclusion est sans appel : entre avril 2014 et avril 2015, le prix « Aldi » augmente en effet de l’ordre de 7 % en euros, mais perd 15 % en dollar.

Il faut espérer que le prix de revient diminue en proportion, grâce notamment à la baisse du prix de l’énergie. Mais, là aussi, on tombe dans l’écheveau inextricable des marchés des changes et des marchés des matières premières comme le pétrole, et du temps qu’il faut pour qu’une baisse du pétrole se répercute sur le prix des intrants fabriqués à base de pétrole. Ce dont on est certain, c’est que le prix du pétrole baisse plus rapidement en dollar US qu’en euro et beaucoup plus rapidement que l’euro face au dollar. Selon l’IFPEN, sur le début d’année 2015 (16 février), le prix du pétrole (Brent) s’établissait à 50.6 USD/b et 43.9 euros/b, soit un recul de respectivement 49 et 41 % par rapport à 2014. Sur la même période, l’euro (à 1.15 USD) n’a perdu que 13 %. On devrait donc logiquement voir le coût de revient de la banane baisser fortement. Sauf à considérer que les transporteurs, fabricants d’engrais, de plastiques, de cartons, de produits phytopharmaceutiques, etc. prennent leur temps pour impacter à la baisse le prix de vente de leurs produits et services. Nombre d’entre eux pourraient en effet jouer de leur position oligopolistique, voire monopolistique, pour ralentir ou gommer l’effet de cet important levier de compétitivité.

Une très commode victime expiatoire : le droit de douane

L’équation, même complexe, est donc posée : la revalorisation du prix import en Europe est-elle suffisante pour compenser la baisse de revenu des maillons intermédiaires ? La diminution importante du prix de l’énergie a-t-elle des effets sur le prix de revient du produit et, si c’est le cas, quel est le maillon qui profite de cette redistribution ? On attend avec impatience la révision du prix minimum en Équateur pour voir sur quelle face va tomber la pièce. Si le prix minimum baisse, il faudra que les autorités prennent soin d’argumenter et d’éviter de se retrancher derrière l’unique arbre qui cache la forêt : la dégringolade de l’euro ! Car même si la baisse de l’euro a un certain effet, elle pousse aussi le prix import spot aux USA à la hausse, ce qui aura à terme des effets bénéfiques sur les prix des contrats. Davantage de valeur en aval et des coûts de l’énergie qui baissent, c’est plus de richesses à redistribuer en production. D’autant plus que le coût du droit de douane UE libellé en euro baisse en dollar. Cet argument, toujours mis en avant par les exportateurs équatoriens, n’a plus lieu d’être. En outre, la dégressivité programmée du droit de douane ainsi que, pour l’Équateur, le fait de rejoindre un régime douanier beaucoup plus favorable (d’ici fin 2016 ?), renforcent les effets bénéfiques actuels du change.

Une couverture de change très limitée

C’est une lapalissade de dire que la volatilité des changes, depuis un an maintenant, a un effet phénoménal sur le positionnement commercial et, en définitive, sur le profit des entreprises. Aucune d’entre-elles ne peut négliger un paramètre financier qui varie de 10, 15 ou 25 % en quelques mois. Les outils pour se couvrir contre les risques de change existent depuis des décennies. Le FOREX, plateforme où se traitent les opérations sur les marchés à terme des devises, est un outil qui permet d’éliminer en très grande partie ces effets de change. On achète et on vend des devises à terme en fonction de ses besoins commerciaux. Les grandes entreprises sont capables de gérer les risques via ces outils. Les petites entreprises ou celles de taille moyenne font peu appel à ces instruments en routine et, si elles le font, c’est souvent par à-coups pour un besoin ponctuel. D’après les informations recueillies, si beaucoup ont réduit les risques dans les premiers mois de la remontée du dollar US, elles sont très peu désormais à avoir une couverture de change suffisante. L’effet parité pourrait donc être frontal pour de nombreuses sociétés du secteur.

Prévisions : les paris sont ouverts

Comme le disait Pierre Dac, célèbre humoriste français, les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. C’est un peu le cas de l’évolution des taux de change ou du prix du baril de pétrole. On peut toutefois proposer au lecteur le consensus qui se dégage de tous les analystes. La plupart pensent que les monnaies continueront de perdre du terrain vis-à-vis du dollar US. La FED repousse la remontée des taux d’intérêts américains, mais c’est reculer pour mieux sauter. Et une hausse, même modeste, des taux poussera le dollar à des sommets. La politique d’assouplissement quantitatif ( quantitative easing) menée par la BCE a aussi pour effet de maintenir l’euro sous pression. Rappelons qu’il y a encore de la marge quant à sa baisse : l’euro était tombé à 0.83 en octobre 2000. Côté pétrole, la prévision est un peu plus incertaine du fait de l’effet possible des conflits régionaux. On peut tout de même dire que le consensus s’établit autour d’un cours du Brent à 65 USD/b pour 2015, à 70 USD/b pour 2016 et 2017.

La distribution : victime de sa propre politique

Côté distribution, bien que différente, la situation est toute aussi passionnante. Ici, plus de parité euro/dollar, plus de prix de l’énergie, plus d’arbitrages US/UE, plus de droits de douane, car en magasin les clients européens, de la zone euro, paient en euro et ne se couvrent pas sur les marchés à terme. Ils achètent de la banane comme jamais auparavant (+ 546 000 tonnes en deux ans), dans un mouvement qui pourrait bien être une tendance lourde. La crise, qui a réduit le pouvoir d’achat des ménages, et les distributeurs européens, qui proposent des prix très attractifs en valeur absolue, mais aussi en valeur relative par rapport aux autres fruits du rayon, ont créé cette bulle vertueuse de consommation. Les consommateurs accros ont rendu les distributeurs accros, ce qui donne des ailes aux prix du marché hors contrat.

Les besoins en volume sont importants. Les prix s’envolent dès que l’offre est un peu à la peine pour des raisons classiques liées à des aléas climatiques ou pour des facteurs externes au marché comme les changements brusques de parité monétaire. En 2015 (janvier et février), les tout premiers chiffres d’approvisionnement des marchés européens (- 2 %) et américains (- 4 %) confirment que ces marchés se rétractent un peu, non du fait d’une demande qui s’épuise, mais bien d’une offre légèrement réduite. Si on ajoute à cela un démarrage poussif des campagnes de fruits de saison, on aura compris que la grande distribution est en quelque sorte victime de sa politique de positionnement agressif de l’offre en banane dans ses rayons. La grande distribution européenne serait-elle devenue la junky des dealers de banane ? Pas vraiment, car le commerce n’est ni équitable ni sympathique, malgré ce que les labels tendent à nous faire croire. Otages, c’est ainsi que se définissent souvent les importateurs et les maillons plus amont de la filière, et ils ne sont pas près de développer un syndrome de Stockholm envers leur ravisseur, la grande distribution, dont le pouvoir de négociation est de plus en plus concentré et fort.

Un contrat ne vaut que s’il est respecté

Car, si c’est du côté de l’amont que se trouvent le manche et la cognée en ce moment, les retournements de situation ne sont pas impossibles, ils sont même certains ! Reste à savoir combien de temps cela prendra. Le pouvoir a, en partie, changé de mains. Toutefois, les situations sont mouvantes et les équilibres précaires. Un peu plus de fruits, un peu moins de Niño, deux tornades de moins, un Harmattan persistant et quasi incongru en Afrique de l’Ouest, une production pléthorique de fruits concurrents, etc., et la maîtrise du marché changera de camp. Les distributeurs margent un peu moins et certains maillons amont de la filière beaucoup plus. C’est la loi du marché et notamment de celui des produits périssables. Et c’est très bien ainsi ! Il est certain que les tenants d’un marché contractualisé à 100 % où, en une négociation annuelle, prix et volumes seraient déterminés une fois pour toutes, doivent se poser des questions quant à leur stratégie. Spot ou contrat : les deux options sont sur la table. Choisir l’une ou l’autre est un pari sur l’avenir, mais qui dépend aussi fortement de la structure d’approvisionnement et de coût de chaque entreprise. Un opérateur qui a des frais fixes élevés, des plantations et des bateaux à faire tourner, préférera gérer en bon père de famille son business. Il ne maximisera pas ses gains, mais cherchera à s’assurer une marge suffisante et confortable.

Un intermédiaire, plus léger en termes de capital et focalisé davantage sur l’aval de la filière, aura une tendance naturelle à prendre des risques, parce que c’est son métier, quitte à perdre parfois. Il fera le pari que les gains seront toujours plus élevés que les pertes. Il fera aussi le constat que les contrats ne sont pas toujours respectés. En effet, l’asymétrie des pouvoirs de négociation, toujours en faveur de l’aval de la filière, fragilise dans bien des cas les termes de l’échange. Ce n’est pas vrai partout, mais c’est une donnée à prendre en compte. Dans certains pays, la conclusion d’un contrat reviendrait à la mise en place d’un plafond de verre infranchissable par le haut dans le cas d’un marché haussier. En effet, le pouvoir de renégociation d’un fournisseur est quasiment nul face à une grande chaîne de distribution. A l’inverse, si le marché venait à dévisser, la révision à la baisse serait potentiellement du pouvoir du distributeur, qui pourrait agir sur les prix ou les volumes garantis. Le débat n’est pas tranché mais reste ouvert, notamment dans ces périodes de fortes variations du prix. On peut d’ailleurs s‘étonner de voir Aldi s’engager sur un prix relativement élevé et sur une période aussi longue. La faculté à respecter ses engagements lorsque le marché dévissera sans doute au printemps 2015, orientera dans un sens ou dans l’autre la tendance au développement de la contractualisation. FruiTrop reviendra bien évidemment sur le sujet dans les mois à venir.

Un déséquilibre permanent au bénéfice de qui ?

Comment conclure un tel article, qui s’est donné pour mission d’aller chercher le diable dans les détails et de montrer que les choses sont beaucoup plus complexes que les apparences veulent bien le laisser croire. Les optimistes invétérés pourraient ne conserver que les bonnes nouvelles : la consommation augmente fortement, c’est une tendance de fond, les prix de détail restent attractifs malgré des prix import en forte hausse, etc. Ils pourraient aussi penser que la situation est immuable, que le marché a atteint un équilibre quasi parfait. Dans la théorie des jeux, ce type d’équilibre parfait, dit de « Nash », implique qu’aucun joueur (ici les distributeurs et leurs fournisseurs) n’a intérêt à dévier seul de la situation d’équilibre obtenue qui, dans le cas de la banane, pourrait sembler optimale pour tous en ce moment. Dit autrement, il y a équilibre parfait si un agent économique ne regrette pas le choix qu’il a fait, après avoir pris connaissance du choix effectué par les autres. Les anticipations sont auto-réalisatrices et chacun tient sa place, en faveur d’une sorte de bien commun.

Et c’est bien là que l’armure se fissure. Le marché bananier mondial est secoué par d’innombrables chocs internes comme externes, totalement imprévisibles. En bref, l’information est incomplète car elle est forcément asymétrique entre les acteurs et, surtout, l’avenir est incertain tant en termes d’offre que de demande. En définitive, on ne sait qu’une seule chose sur les certitudes d’aujourd’hui : elles sont hautement éphémères. Les joueurs regrettent en permanence leur choix et cherchent continuellement à peaufiner leur stratégie ou à en changer. Et il faut bien reconnaître que toutes les stratégies commerciales ne sont pas conçues sous le sceau de la stricte raison ou, en tout cas, qu’elles ne concourent pas toutes à un idéal à un instant donné. Outre que personne ne sait ce qu’est l’idéal bananier, l’irrationalité est de toute façon constitutive de l’ADN des opérateurs commerciaux. Par ailleurs, ils ne sont pas tous là, et c’est un doux euphémisme, pour gérer une rente, mais bien pour faire mieux, beaucoup mieux, immensément mieux que leur concurrent, peu importe que cela se fasse sur le dos de leur fournisseur ou de leur client. Ils savent que la roue tourne et qu’ils seront à un moment ou à un autre le dindon de la farce. La stratégie des acteurs de ce marché est donc en déséquilibre permanent. L’économie bananière, à l’image de tout autre secteur d’ailleurs, balance autour d’un point d’équilibre. Il y a des forces qui tendent à éloigner le système de son point d’équilibre (grossièrement les aléas) et les forces qui tendent à ramener le système à l’équilibre. Dans ce modèle, la contractualisation est une de ces forces qui cherchent au final à réduire l’incertitude. La grande question est : au bénéfice de qui ?

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