3e Conférence du Forum Mondial de la Banane

  • Publié le 12/12/2017 - Elaboré par LOEILLET Denis
  • FruiTrop n°253 , Page 16 à 20
  • Gratuit

L’indispensable dialogue

La 3e conférence du Forum Mondial de la Banane, qui s’est tenue en novembre 2017 à Genève (Suisse), s’est révélée un très beau succès en réunissant 300 délégués venus de 40 pays. Ainsi, le processus qui doit mener à un changement des pratiques, tant sociales qu’environnementales, dans le secteur de la banane d’exportation a marqué des points.

Ouvrir/Fermer Boutique

Si les bonnes intentions, les bons sentiments, les déclarations sans lendemain, etc., sont toujours présentes car consubstantielles de ce type de forum onusien, la stratégie des petits pas semble tout de même porter ses fruits. Certes, nous sommes encore loin du changement universel tant attendu, mais nous avançons grâce à deux grands types de processus : (1) des expériences individuelles à l’initiative de quelques parties prenantes et (2) la mise au point de méthodologies visant à mieux comprendre le fonctionnement des filières et à évaluer leurs effets, notamment sociaux, en fonction de leur organisation.

Je ne prendrai que deux exemples. Côté expérience, on peut évoquer le projet Banana Occupational Health and Safety Initiative (BOHESI) développé en Équateur et au Cameroun. Il a, entre autres, conduit à la publication en novembre 2017 par le gouvernement équatorien du premier manuel sur la santé et la sécurité des travailleurs du secteur de la banane (https://goo.gl/18gPuk - adresse simplifiée). Dans la même veine, on peut citer et saluer les changements initiés par un grand nom de la bananeraie africaine, la Compagnie fruitière, qui a fait part de ses ambitions (produire « bio » partout où c’est possible, objectif de supprimer tous les produits de synthèse, énergie renouvelable, etc.) et a partagé certaines de ses expériences dans le domaine de la mise au point de systèmes de culture plus vertueux. Côté méthodologies, on peut citer un certain nombre d’initiatives en cours, dont beaucoup tournent autour de l’évaluation des performances ou des impacts sociaux des chaînes de valeur sur les producteurs et les ouvriers de la bananeraie : étude Ergon sur l’échelle des salaires, répartition de la valeur (exemple des Windward Islands), salaire et niveau de vie décents (méthode Anker ou Cirad-Irstea), monitoring permanent de la répartition de la valeur ajoutée par origine et marché (proposition Le Basic-Cirad), etc.

TR4 : l’arbre qui cache la forêt

Les projets sont nombreux et il est difficile, pour un non-initié, d’y voir clair dans cette forêt d’initiatives. Et ce n’est pas cette conférence qui permettra d’éclaircir le paysage. Les annonces, exigences, souhaits de créer telle commission ou tel groupe de réflexion ou encore les multiples demandes de résolutions ont fleuri tout au long des quatre jours de la conférence (deux jours de plénières et deux jours de conférences annexes sur l’égalité des genres dans le secteur de la banane et la lutte contre la maladie TR4). Mais loin de critiquer ce feu d’artifice, on peut penser que c’est ainsi que les parties prenantes entament, puis développent une culture du dialogue pour arriver, in fine, aux changements souhaités. Il n’en reste pas moins que le secrétariat du Forum, brillamment assuré par la FAO, ne pourra pas financer autant d’initiatives et devra faire des choix. Les ressources sont limitées et les grands opérateurs ne s’engagent pas beaucoup financièrement. Il semble, en tout cas, que la lutte contre la maladie de Panama (race 4 Tropicale) ait été d’ores et déjà choisie comme un axe fort, alors même que d’autres problématiques sociales (répartition de la valeur, conditions de vie des ouvriers, etc.) ou la lutte contre d’autres maladies (maladie virale de type Bunchy Top par exemple) ont aussi de forts impacts négatifs sur le secteur. Difficile donc d’ordonner les priorités !

Si on peut être très positif sur le processus en cours, on se doit d’être plus raisonnable sur ses effets directs réels. Ce sont les grands opérateurs, les donneurs d’ordre de la filière qui ont le pouvoir de changer les choses. Aussi, le bruit médiatique et la sensibilisation des opinions publiques, que permettent les travaux du WBF, peuvent guider vers plus de durabilité sociale et environnementale les orientations et les choix des donneurs d’ordre situés tout au long de la chaîne. Les plus influents sont évidemment les acheteurs des grandes surfaces. Si ces derniers bougent dans le bon sens, alors l’ensemble du système bougera lui aussi. Malheureusement, ils ont brillé par leur absence ou leur mutisme. C’est bien dommage ! Les rares présents qui ont pris la parole ont esquivé les questions qui fâchent, notamment sur les politiques de prix d’achat. Le silence était donc assourdissant. Dans une sorte de pacte de non-agression, leurs fournisseurs n’ont pas plus évoqué ce sujet tabou. Il faut dire qu’il est difficile d’avoir des discussions constructives sur les prix car les règles et les mécanismes de marché qui sous-tendent leur fixation sont loin d’être connus, compris et partagés par toutes les parties prenantes. Ainsi, au mépris de toutes les règles de marché, des demandes insistantes visant à la fixation d’un prix international coercitif ont encore fleuri lors de la conférence.

Quand le CIRAD se passe des pesticides

S’il n’y a pas de gouvernance mondiale de la filière banane, ce qui est une évidence sur les aspects économiques et sociaux, il en est strictement de même sur les aspects environnementaux. A part quelques études visant à établir des bilans environnementaux via la méthode d’Analyse du Cycle de Vie (ACV), dont il est quasi impossible de comparer les résultats tant les hypothèses de calcul sont différentes (périmètres de l’étude, facteurs d’émissions, etc.), les actions concrètes restent circonscrites au partage d’expériences et à la promotion de bonnes pratiques agricoles (www.idhsustainabletrade.com). Là comme ailleurs, il y a un manque criant d’engagements qui feront changer les choses. Dans ce domaine, la seule proposition concrète et applicable immédiatement est venue du CIRAD. Jetant un pavé dans la mare, Thierry Lescot a proposé que l’on bannisse immédiatement l’utilisation des nématicides et des insecticides sur toute la superficie bananière mondiale. Les réactions négatives et mêmes virulentes, mais encore plus le silence du secteur productif, mettent en lumière de façon brutale les freins au changement. Alors même que des solutions sont techniquement opérationnelles et économiquement viables et qu’elles sont déjà couramment utilisées (Antilles françaises, République dominicaine, etc.) ou en cours de déploiement (Afrique), dans des contextes socio-économiques et pédoclimatiques variés, les grands systèmes productifs se tiennent largement à l’écart de ce mouvement où l’application des principes de l’agro-écologie donne des résultats stupéfiants. Tant que les dégâts sur la santé des ouvriers, des riverains et des milieux naturels pèseront aussi peu face au recours massif aux produits phytosanitaires, de grandes zones de production resteront en marge de la révolution doublement, voire triplement verte.

Mais heureusement, les acteurs de la soft law veillent au grain ! Très présents et très actifs, les certificateurs de tout poil ont, eux, par chance, tout compris. Ils se proposent d’ailleurs d’être les grands ordonnateurs de la pensée mondialisée verte et sociale. Tant pis si, pour bon nombre de ces cahiers des charges, on reste sur la simple idée de performance (la décision) sans tenir compte des vrais impacts (les conséquences des décisions prises). Dans notre monde médiatique et peu éthique, l’important reste de communiquer sur les actions, n’est-ce pas ?

Dommage que, lors de cette conférence, le mouvement du Commerce équitable (mouvement Clac y compris), qui lui a souvent de vrais effets sur les maillons les plus pauvres de la chaîne, n’ait été que très peu audible.

Il y a eu tant de choses dites et d’actions proposées que je renvoie le lecteur vers les rapports des différents panels et sessions parallèles. Un mot sur celle organisée autour de l’équité entre les sexes. Ce fut un grand succès en termes de participation et d’identification des chantiers à ouvrir. Là comme sur les autres domaines, les marges de progrès sont immenses.

L’approche filière couronnée

Je terminerai par les principales conclusions du dernier rapport « Global Wage Report 2016/17 » (https://goo.gl/fjFvd3 - adresse simplifiée) de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Sans être spécifiques au secteur de la banane d’exportation, elles en disent long sur les effets des bonnes ou mauvaises pratiques commerciales sur la qualité d’une filière, notamment la qualité sociale (salaires et conditions de travail). Le critère « prix payé au fournisseur » est le plus évident à comprendre. Mais il est accompagné par quatre autres qui impactent tout aussi fortement : le manque de clarté de l’information dans les contrats client-fournisseur, l’imprécision des spécifications des marchandises commandées entraînant de la non-conformité, la pression sur les délais de livraison et, enfin, l’absence de demande quant aux normes et règles sociales appliquées chez le fournisseur. L’OIT a évalué l’effet positif de bonnes pratiques commerciales dans une filière. Les résultats sont sans appel. Dans une filière vertueuse, les salaires sont supérieurs de 98 % et les heures travaillées sont réduites de 13 %. Si l’on ne croyait toujours pas à la notion de filière, le rapport de l’OIT couronne l’approche multipartite du Forum Mondial de la Banane. Dans ce processus long mais indispensable, il faudra veiller à donner aux groupes les plus faibles en termes de négociations une place plus importante en mettant à leur disposition des informations, des outils d’analyse et des méthodologies. C’est à ces conditions-là que la dissymétrie entre les membres sera comblée et que les choses bougeront franchement.

Denis Lœillet et Carolina Dawson, CIRAD
denis.loeillet@cirad.fr / carolina.dawson@cirad.fr

Cliquez sur "Continuer" pour poursuivre vos achats ou sur "Voir votre panier" pour terminer la commande.