Marché européen de la banane 2017

  • Publié le 25/10/2017 - Elaboré par LOEILLET Denis
  • FruiTrop n°251 , Page 30 à 36
  • Gratuit

Touché, coulé

Ce qui était annoncé depuis des années, et toujours repoussé du fait d’aléas climatiques graves, est arrivé : une offre pléthorique de banane, dans un contexte de ralentissement du marché (canicule et offre conséquente et concentrée de produits concurrents), a provoqué la plus grande crise bananière depuis des décennies. Une chose est sûre, on finira bien par sortir un jour de cette crise. Pour autant, les ferments de celle-ci et de celles à venir sont toujours bien là.

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«La cigale ayant chanté depuis 2006, se sentit fort dépourvue quand la crise de 2017 fut venue. Que faisait-elle au temps chaud ? Elle plantait, ne déplaise à la fourmi. Elle plantait ? Eh bien qu’elle pleure maintenant. » Cette libre adaptation de la plus célèbre des fables de Jean de la Fontaine est un résumé plutôt réaliste de la situation des marchés mondiaux de la banane dessert. Ce que les Anglo-saxons ont baptisé le « Perfect Storm » est la conséquence d’un surinvestissement mondial, tant pour gagner en productivité que pour étendre les superficies consacrées à la banane d’exportation. Ces dépenses d’investissement (engrais, produits de traitements, irrigation, lutte contre les maladies, création ou extension de surfaces, etc.) ont été rendues possibles par une période globalement favorable sur le front des prix mondiaux. Sans vouloir être trop caricatural, la crise de 2017 met fin à une décennie glorieuse.

Mais quels ont été, en fin de compte, les ressorts de cette décennie correcte ? En un mot : le climat. En effet, la multiplication des incidents climatiques plus ou moins graves a amputé très régulièrement les capacités de production et donc les exportations mondiales. Coups de vent, tornades, phénomène El Niño, cyclones, inondations, etc., ont rythmé le secteur depuis une décennie. Que l’intensité des dégâts soit moins forte et c’est tout l’équilibre qui est rompu. Et encore, des dégâts il y en a eu en 2016. On se rappelle du cyclone Matthew qui a ravagé la Martinique, des inondations monstres en République dominicaine ou des coups de vent au Cameroun, etc. Mais cela n’a pas suffi à freiner une offre mondiale en expansion. D’autant que le couple infernal Niño (2015-16) et Niña (2016-17) n’a pas eu les effets dévastateurs de leurs illustres prédécesseurs (1982-83 et 1997-98). On dit même qu’il a contribué, du côté Pacifique, aux records d’exportation de l’Équateur en 2015 et 2016, avec plus de 310 millions de cartons par an. D’ailleurs, pour l’instant, on marche sur les mêmes traces en 2017 (arrêté à fin août). On peut aussi signaler les records absolus de productivité annoncés par le Costa Rica, à près de 2 900 caisses par hectare en 2016. Certains opérateurs évoquent même le chiffre de 3 000 caisses pour 2017. Il est vrai qu’à l’inverse la Colombie a largement pâti de la sécheresse induite par El Niño. Mais la reprise n’en a été que plus forte à partir de fin juillet 2016 et ceci tout au long de l’année 2017. Les cycles de production ont été, certes, un peu décalés, mais leur puissance largement intensifiée.

banane - allemagne - prix vert
banane - allemagne - prix vert

 

banane - costa rica - evolution de la productivité
banane - costa rica - evolution de la productivité

 

banane - equateur - exportations totales
banane - equateur - exportations totales

Perfect Storm

Dans « Perfect Storm », il y a aussi le sens d’absolu et de total. C’est donc que les choses ne se sont pas bien passées également hors secteur bananier. En Europe, en 2017, il aura fallu quatorze semaines pour que le marché prenne de la hauteur en termes de prix d’importation. L’offre était telle que, même si le moteur de la consommation tournait toujours à plein, cela s’est fait au détriment des prix. Une remontée des cours a ensuite débuté, mais elle fut de courte durée. Après à peine deux mois de répit, la vague de chaleur caniculaire de début juin a balayé tous les espoirs de sauver, économiquement parlant, l’année 2017. La consommation, quels que soient les fruits, a stoppé net. Les calendriers de production des fruits d’été des différents états membres se sont largement chevauchés, faisant monter les volumes à mettre en marché. La machine bananière, totalement grippée en termes de prix, mais toujours très prolifique en volumes mis en marché, a passé un des pires étés de ces dernières décennies. Quelques chiffres viennent confirmer ce triste, mais annoncé, récit. Les volumes d’abord. Jamais l’UE-28 n’a importé autant de bananes. Selon nos sources, à fin août 2017, les importations extra-communautaires (NPF + ACP) se sont accrues de 7.5 %, dépassant ainsi 3.7 millions de tonnes contre un peu moins de 3.5 sur la même période en 2016. Sur les 31 premières semaines de 2017, les importations hebdomadaires ont été inférieures ou identiques à celles de 2016 durant seulement six semaines. Pendant 25 semaines, les volumes mis en marché ont été supérieurs à ceux de 2016. Rien que sur le 1er semestre 2017, la consommation (import + production européenne) a grimpé de 4.5 % par rapport à 2016. Rattrapage à l’Est, mais aussi augmentation dans certains pays dits à maturité, ont permis d’absorber le trop plein d’offres. Mais à quel prix ! Le baromètre CIRAD représentatif du marché européen n’est jamais descendu aussi bas. Fin août, il tombait à moins de 10 euros le colis, contre plus de 13 en 2016 et 2015. A l’Est, la situation est dramatique avec des prix moyens entre 6 et 7 euros et des prix de dégagement qui peuvent s’effondrer jusqu’à 3 euros (voire moins pour certains lots). Encore plus à l’Est, en Russie, pourtant habituée aux excès à la hausse comme à la baisse, on a battu un triste record historique pour passer en semaines 30, 31 et 32 en deçà de 5 USD/carton CIF St Petersbourg. Les marchés méditerranéens, du Moyen et du Proche-Orient, subissent la même dépression, que les opérateurs qualifient d’historique.

banane - barometre UE
banane - barometre UE

 

banane - pologne - prix vert hebdo
banane - pologne - prix vert hebdo

Il ne reste plus que l’auto-régulation

Les entreprises en amont comme en aval font leurs comptes et constatent des pertes majeures. Un seul levier est à leur disposition : la réduction artificielle par destruction de l’offre. Colombie, Costa Rica, Équateur, République dominicaine annoncent tous des politiques d’auto-régulation. Les effets de ces sacrifices seraient amplifiés par une fin de saison écourtée de quinze jours en fruits d’été et des impacts négatifs des gels printaniers sur les récoltes de raisin et de pomme (plus petite récolte européenne depuis dix ans). A l’inverse, des facteurs comme la remontée de l’euro face au dollar US ou encore un fret bon marché pourraient remotiver les exportateurs. On peut aussi penser que ces facteurs ne sont pas à même de changer la donne économique. En outre, l’absence, par exemple, de dynamique de consommation ou les difficultés d’approvisionnement dans les états américains touchés par les cyclones ne poussent pas à l’optimisme sur le deuxième marché mondial.

La série de cyclones, qui ravage les zones de production des grandes et petites Caraïbes (et notamment la Guadeloupe et la Martinique) depuis début septembre, a des conséquences sur l’offre à court terme en France. Aussi dramatique que cela soit pour les producteurs français et les populations locales, l’effet est bien moindre pour le reste de l’Europe : 200 000 t sur une consommation de 6.2 millions de tonnes. D’autant que, comme on l’a dit, les capacités de production augmentent partout. Ainsi, malgré la grosse chute de production de la République dominicaine fin 2016, les prix import se sont écroulés en 2017.

banane - UE et USA - approvisionnement
banane - UE et USA - approvisionnement

Le comportement moutonnier des opérateurs est un grand classique de la littérature économique. Ses effets sont renforcés par le fait que le bananier est une plante annuelle et même infra-annuelle. Comme un bananier en place produit plus d’un régime par an, les effets d’une destruction volontaire sont limités dans le temps, sauf à prendre des mesures plus radicales comme cycloner (couper le pseudo-tronc). La base productive est donc intacte. Côté nouvelles plantations, les investissements seront retardés si le projet est déjà avancé et, dans quelques rares cas, abandonnés. Bref, si le redémarrage du marché a lieu (on parle d’octobre), il se fera dans un contexte où le potentiel est toujours en place, voire ne fait que progresser. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut prévoir avec une quasi-certitude la prochaine crise de l’offre. C’est d’ailleurs la vérification du deuxième principe de la thermodynamique : tout système physique laissé à lui-même, comme un être vivant, tend à se désorganiser. Avec encore une fois un brin de cynisme, il n’y a plus qu’à espérer que le climat vienne empêcher le potentiel de production de se réaliser. Il faudra aussi que les consommateurs, autres qu’européens, se mettent à consommer de plus en plus de banane. Côté Europe, la grande question est de savoir jusqu’à quand seront englouties 200 000 à 300 000 tonnes de plus par an, afin de maintenir des prix rémunérateurs pour tous les maillons.

Enfin, pour revenir à Jean de la Fontaine, « On voit que de tout temps, les petits ont pâti des sottises des grands ». Et, c’est sans se tromper, ces petits producteurs, ces ouvriers qui font les frais de la crise actuelle. Une nouvelle fois, c’est bien la justification que l’agriculture et l’alimentation ne sont pas des secteurs comme les autres. Non, la dérégulation n’est pas mère de toutes les vertus. A l’approche de la révision des politiques publiques bananières européennes, cette crise aura au moins eu l’avantage de rappeler ce principe aux décideurs politiques comme aux opérateurs les plus libéraux.

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