Tomate de contre-saison

  • Publié le 22/11/2016 - Elaboré par BENOIT-CELEYRETTE Cécilia
  • FruiTrop n°244 , Page 18 à 22
  • Gratuit

Instabilité russo-turco-anglo-européenne

Le commerce des fruits et légumes fait face ces derniers temps à une forte instabilité. En cause, une météo de plus en plus capricieuse, avec en toile de fond le réchauffement climatique, mais surtout une forte période d’instabilité politique à l’échelon européen : embargos russes, brexit, relation UE-Maroc, etc.). Parallèlement, on assiste à une relocalisation de la demande vers les productions locales, ce qui impacte de plus en plus sensiblement les produits d’importation.

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Une campagne 2015-16 très mitigée

La campagne méditerranéenne a débuté l’an dernier dans des conditions particulières, les chaleurs de l’été ayant réduit le potentiel espagnol (très fort déficit dans la zone de Murcie et retard des plantations sur Almeria) et avancé la fin de saison européenne. La campagne d’hiver a donc démarré avec des prix élevés, autour de 1 euro/kg en tomate ronde rendu Europe. Le marché s’est brutalement alourdi après la mi-octobre, avec le développement de l’offre marocaine dont les apports sont passés de 5 000 t à 8 000 t par semaine sur Perpignan, engorgeant le marché européen jusqu’au début du mois de novembre. En effet, la demande locale et les premiers départs vers la Russie n’ont pas suffi à alléger les envois vers l’Europe. Le prix des tomates rondes marocaines est descendu à 0.49 euro/kg en semaine 45.

L’activité a ensuite été très délétère en France, conséquence des attentats de Paris. La situation s’est néanmoins améliorée en fin d’année en tomate ronde, avec la forte demande russe qui a fait suite à la mise en place du boycott turc. Le commerce s’est également animé en petite segmentation avec l’approche des fêtes de fin d’année. Les cours ont pu être revalorisés. Cependant, les ventes ont été mitigées pour les fêtes, la demande s’étant plus sensiblement reportée vers la tomate grappe et les productions locales sous lumière artificielle.

La reprise a ensuite été laborieuse, avec des difficultés pour écouler les stocks constitués en fin d’année. Les envois vers la Russie ont ralenti (trêve des confiseurs), alors que les chaleurs accéléraient la production du Bassin méditerranéen. Les cours ont donc de nouveau approché 0.48-0.50 euro/kg stade import pour les tomates rondes du Maroc. Par la suite, le marché s’est un peu décanté, tout en conservant une certaine pression du fait du démarrage désormais précoce des campagnes européennes (mi-février), avec de bons volumes dès le début de saison compte tenu de l’hiver doux. Les prix ont donc oscillé entre 0.60 et 0.75 euro/kg jusqu’à mi-mars.

Les fêtes pascales ont permis un petit raffermissement des  prix, mais le marché est resté très incertain jusqu’à mi-avril. La faiblesse de l’offre espagnole en petite segmentation a heureusement permis de maintenir des cours soutenus sur la fin de la saison. Les volumes ont également été plus allégés au Maroc, y compris en tomate ronde. Fin avril, il ne restait déjà plus que les opérateurs engagés dans des programmes. Pourtant, les cours n’ont pas cessé de s’effriter, compte tenu de la très mauvaise météo du printemps qui a fortement réduit la demande.

tomate - UE - imports extra UE octobre a mai
tomate - UE - imports extra UE octobre a mai

Un repli conservatoire sur le marché européen…

Ainsi, les exportations espagnoles de tomate vers l’UE-28 ont été un peu en deçà de celles de l’année précédente (812 000 t, soit - 4 % par rapport à 2014-15). Elles restent néanmoins globalement dans la moyenne des trois dernières années, d’après les chiffres des douanes européennes pris entre octobre et mai, tandis que la plupart des fournisseurs extra-européens enregistrent une progression après une année 2014-15 en demi-teinte. La hausse est marquée pour la Turquie vers l’Europe (+ 53 % sur la moyenne des 3 ans) du fait de l’embargo russe et, dans une moindre mesure, pour le Sénégal (+ 3 %) et la Tunisie (+ 7 %). Les importations en provenance du Maroc, principal fournisseur du marché européen en hiver, sont encore en hausse (+ 8 %), tandis qu’Israël poursuit son repli (- 71 %).

tomate - UE - imports des principaux pays fournisseurs octobre a mai
tomate - UE - imports des principaux pays fournisseurs octobre a mai

…mais sur lequel soufflent le froid et le chaud !

Nonobstant une météorologie de plus en plus décalée sur fond de réchauffement climatique, la campagne 2016-17 est déjà empreinte d’incertitudes face aux tensions politiques qui déstabilisent la sphère économique ces dernières années. Elle débute néanmoins avec quelques signaux plutôt positifs, notamment la réouverture du marché russe aux fruits et légumes turcs. Cette réouverture s’est traduite par des commandes en tomate dès septembre et devrait, par ricochet, alléger le marché européen qui était davantage sollicité depuis début 2016 à la suite de l’embargo.

En revanche, on n’attend pas de réel assouplissement des relations entre l’UE et la Russie qui permettrait la reprise des exportations, notamment de l’Espagne, vers cette destination. En effet, les prochaines négociations entre les deux grands blocs ne sont pas prévues avant début 2017. L’Europe devra statuer en janvier sur le maintien de ses sanctions, qui ont suivi le conflit ukrainien, mais il y a peu de chances qu’elles soient levées avant fin 2017 d’après les experts de l’Union européenne. De leur côté, les autorités russes affirment que le pays pourrait maintenir le boycott pendant plusieurs années grâce aux subventions allouées aux cultivateurs russes.

Cependant, les grands bouleversements pourraient venir du brexit, qui entraînera également des ajustements dans les années à venir. Les pourparlers avec l’Union européenne pour la sortie du Royaume-Uni ne devraient pas s’engager avant fin mars 2017 et ne devraient pas aboutir avant l’été 2019. Pourtant, cette épée de Damoclès risque de changer la donne en impactant fortement les exportations espagnoles, notamment celles des Canaries dont c’est la principale destination en tomate. Le Royaume-Uni importe 220 000 t de tomate entre octobre et mai, dont 124 000 t d’Espagne et 39 000 t du Maroc. Mais avant même les négociations, les experts craignent déjà que le Royaume-Uni n’entre dans une phase de turbulences économiques et politiques, avec la poursuite de la baisse de la livre, qui pourraient conduire à un durcissement des conditions de paiement. Si la baisse des envois vers le Royaume-Uni se confirme, les exportateurs devront trouver des marchés alternatifs avec les risques inhérents à ces réorientations.

Par ailleurs, les relations sont tendues entre l’Union européenne et le Maroc après la décision de la Cour de justice européenne, le 10 décembre dernier, de trancher en faveur des indépendantistes du Front Polisario. Elle a ainsi annulé l’accord commercial portant sur les produits agricoles, signé en 2012 entre le Maroc et la Communauté européenne, au motif que le Sahara occidental est classé comme un « territoire non autonome » par l’ONU. C’est en fait une ancienne colonie espagnole annexée par le Maroc en 1975, mais dont l’indépendance est réclamée par le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Cette décision a entraîné la colère du roi du Maroc qui a décidé que « tout contact avec les institutions européennes serait suspendu » à compter du 25 février. Toutefois, l’avocat général de la Cour de justice de l’UE a estimé, le 13 septembre dernier, que l’annulation de l’accord n’était pas justifiée, puisque l’avis est basé sur le principe que l’accord de 2012 « ne s’applique pas au Sahara occidental ». Les juges de la Cour doivent cependant encore délibérer et l’arrêt ne sera rendu qu’à une date ultérieure.

Déjà quelques ajustements

La campagne 2016-17 débute dans d’assez bonnes conditions car, si les volumes sont revenus à un niveau proche de la normale à la fin de l’été sur Murcie, par rapport à la saison 2015-16 déficitaire, les disponibilités s’annonçaient allégées en début de saison. En effet, le démarrage de la zone d’Almeria est encore très progressif cette année et le potentiel marocain est assez faible. Bien que les plantations n’aient pas été retardées, comme en 2015, par le Ramadan qui se décale sur le début de l’été, les volumes marocains ont été très réduits en ce début d’automne par les fortes chaleurs de l’été (Chergui) qui ont engendré des coulures de fleurs sur les premiers bouquets. Les températures dépassaient encore 30°C début octobre. Les surfaces seraient globalement stables dans ce pays, voire peut-être en légère baisse, plusieurs producteurs se tournant désormais vers d’autres cultures comme les petits fruits rouges en pleine expansion. La conversion toucherait surtout les tomates rondes, mais peut-être également certaines variétés en petite segmentation.

De plus, après avoir régulièrement augmenté depuis la campagne 2012-13, conformément à l’évolution de l’accord d’association entre le Maroc et l’Union européenne, le contingent à droit nul est maintenant fixe pour les tomates marocaines : 257 000 t + 28 000 t de contingent additionnel contre 185 000 t + 28 000 t de contingent additionnel en 2012-13. On attend également une légère baisse des surfaces en Espagne, notamment à Almeria (10 700 ha, soit - 2.1 % par rapport à 2015), principalement en tomate allongée au profit du poivron. Les opérateurs sont cependant inquiets du développement des productions hivernales de tomate en hors sol sous lumière artificielle au Benelux et en France, qui perdurent maintenant jusqu’en janvier et qui, bien que d’un prix élevé, bénéficient du statut de production locale, actuellement très prisé

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